Note : 4.5 / 5
Derrière Rover, il y a Timothée Regnier. Une silhouette hors norme,
sorte de croisement aberrant entre un marin soviétique et un écrivain
romantique du début du XIXème. C'est le déracinement qui donne du grain à
moudre à ce jeune compositeur français. Transbahuté entre la France et
les États-Unis, ce fils d'expatrié s'installa au Liban pour rejoindre le
groupe punk de son frère. Faute d'avoir renouvelé ses papiers à temps,
il fut expulsé du jour au lendemain. Un traumatisme pour ce grand
romantique, qui s'échoua sur les côtes bretonnes en plein hiver.
L'artiste français chante en anglais, avec une sacrée
gueule et un goût sûr affiché pour quelques précieuses icônes de la pop
anglo-saxonne. Avec un physique impressionnant, à la fois
inquiétant et lunaire, une diction libérée de tout accent ridicule (ni
trop susurré, ni trop forcé) maniant l'anglais avec naturel et évidence, un coffre réellement à part et une
écriture qui évite la trop respectueuse photocopie, le garçon se révèle à
la hauteur de ceux auxquels il s'inspire.
Il marche dans les pas de ceux qu’il considère comme ses maîtres, ceux
qu’il écoute presque quotidiennement, les Beach Boys de Brian Wilson,
Bowie ou les Beatles. Mais lui n’est le disciple de personne, encore
moins un jeune passéiste. Comme les contemporains qu’il apprécie,
d’Interpol aux Black Keys, il a digéré, réinterprété et synthétisé ses
influences. De New York, ville où sa famille s’est installée quand il
avait 7 ans, il a gardé l’esprit créatif.
Intitulé sobrement "Rover", l'album dévoile onze titres de haute
facture, enrobés dans une délicieuse ambiance mélancolique et rehaussés
par la très belle voix de l'artiste. Une de ces voix qu'il serait
sacrilège de ne pas utiliser pour la musique, tant elle se balade dans
les aigus et les graves avec aisance. Car Rover, c'est avant tout une voix qui s’étend sur plusieurs octaves. Le titre phare de l’opus, "Aqualast", permet à tout à chacun de s’en
rendre compte. La dimension épique de ce titre est tout à fait exceptionnelle, dans une ambiance feutré, la voix de l’artiste s’envole
vers des sommets pop que n’auraient pas renié les Beach Boys ou Bowie.
Car il y a bien du Bowie de la grande époque dans ses mélodies
tortueuses, son art de tordre les mots sur fond d'arrangements pop
stylés, d'une savante sobriété. Et peut-être aussi de Dan Bejar,
l'ambitieux disciple canadien du Thin White Duke opérant sous le nom de
Destroyer. Rover a beaucoup bourlingué, de New York à Beyrouth, cela expliquant sûrement son style singulier, de
partout et nulle part à la fois. Loin d'être lourd et insignifiant, c'est costaud et aérien !
S’il a choisi de répondre au nom de Rover, c’est pour ses sonorités
viriles, parce qu’il est fan de voitures anglaises mais aussi parce qu’il conçoit sa vie comme une
suite de voyages ("to rove" signifiant "errer"). Justement, il est loin d’être
arrivé à destination. Depuis quelques semaines, c’est à la tête d’un
groupe qu’il prend la route pour donner des concerts intenses. Et justement cette route l'amènera à Colmar le 1er février prochain, pour un concert intimiste dans la sublime et minimaliste salle du Grillen. A ne pas perdre assurément !!!
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