mardi 2 octobre 2012

Livre - Les âges sombres de Karen Maitland

Les âges sombres
                         de Karen Maitland

Note : 4 / 5

Synopsis :
1321. Les habitants d’Ulewic, une petite cité isolée de l’est de l’Angleterre, sont sous le joug de leur seigneur et de l’Église, celle-ci ayant supplanté, depuis quelques années, le paganisme qui régnait dans la région. Non loin du village s’est installée une petite communauté chrétienne de femmes, des béguines originaires de Belgique. Sous l’autorité de sœur Martha, elles ont jusqu’alors été assez bien tolérées. 
Mais les choses commencent à changer. Le pays connaît en effet des saisons de plus en plus rigoureuses, les récoltes sont gâchées, les troupeaux dévastés et le besoin d’un bouc émissaire se fait sentir. Neuf hommes du village, dont on ignore l’identité, vont profiter de la tension qui commence à monter pour restaurer un ordre ancien et obscur. Renouant avec de terribles rites païens, usant de la terreur, du meurtre et de la superstition, ils vont s’en prendre aux béguines, qui devront les démasquer et élucider les secrets du village avant que la région ne soit mise à feu et à sang.

Critique :
"Les âges sombres" est un roman époustouflant, tout en atmosphère, qui nous piège dans un huis clos fantasmagorique. A côté du village, du béguinat et du manoir, il y a "la forêt", cette zone de non-droit, hors du temps, où vivent encore les anciens dieux et où tout peut arriver. L’auteur décrit avec brio cette petite communauté, vivant sur elle-même depuis des générations (les villageois ont tous la même anomalie physique, deux doigts collés à la main droite) et montre comment cette autarcie ainsi que la peur née de l’ignorance, crée la xénophobie. 
D’autant que cette ignorance est entretenue par l’église et ses assertions, "la lèpre est la punition pour le péché de luxure". Alors ce que les villageois ne savent pas, ils l’inventent et quand ils ne comprennent pas, ils vont chercher l’explication dans les vieilles superstitions.
Thriller à l’ambiance noire et prenante, "Les Âges sombres" embarque le lecteur dans une autre époque où croyances et peurs étaient intimement liées, dictant la plupart des comportements, comme partie intégrante de la vie de tous les jours. L’univers mis en place par Karen Maitland nous présente avec précision les mœurs et manières de vivre de l’époque et nous transporte directement au début des années 1320. Le côté historique est particulièrement bien rendu et il est très facile de s’imaginer les préoccupations et activités de cette période.
Après l'excellent "La compagnie des menteurs", l'auteur nous entraine une fois de plus dans son moyen-âge crasseux et sombre. Un roman très documenté et assez passionnant tant il regorge d'anecdotes sur les mœurs et les croyances de l'époque comme dans son précédent roman. En plus de cette ambiance réaliste, l’auteur construit un univers parsemé de croyances, où la foi est part entière du quotidien, où la frontière entre sainteté et sorcellerie est mince, où chaque action est vérifiée, et où il faut surtout prendre garde à ne pas devenir sacrilège de peur de voir fleurir les bûchers.
Le roman est sombre, réellement, autant dans le cadre boueux de ce grand récit à plusieurs voix que dans la nature humaine des protagonistes. Les grandes figures hiératiques sont là, prêtre fou, femme intransigeante, villageois manipulés, gamins paumés, sorcières païennes, et les ambitions intellectuelles nouvelles des uns doivent affronter l'obscurantisme d'une religion et d'une seigneurie dévorées par le goût du pouvoir. Passionnant, original, et noir.
Le suspens est terriblement bien entretenu car les personnages sont pour la plupart détenteurs d’un secret qui les amènera à faire des choix surprenants. Ainsi des personnages plutôt sympathiques se révéleront redoutables et d’autres nous surprendront agréablement. Les personnages évoluent donc dans une atmosphère bien particulière, que ce soient les béguines et leur Martha, le curé, les simples gens, les nobles ou les Maîtres-Huants. Beaucoup ont des secrets avec lesquels ils doivent apprendre à composer, et qui nous sont révélés au fil des chapitres, quand vient le tour de chaque protagoniste d’être narrateur et de nous présenter sa vision des choses.
Karen Maitland
L'histoire est racontée de manière originale par le point de vue de cinq personnages, à chaque fois à la première personne. Seul petit bémol cependant, l'histoire prend son temps à se mettre en place. En effet ce n'est pas un thriller classique avec un serial killer et de l'action non-stop. L'action se déroulant sur une année, l'auteur choisit de nous conter son histoire par les différentes petites intrigues et complots entre les personnages. L'histoire commence vraiment à se préciser après le premier tiers du roman. 
Toutefois, il y a quand même des passages assez stressants voir gores qui permettent de redonner du souffle à l'histoire, et une petite touche de fantastique pour relever le tout. Le style de l’auteur, parfois cru donc, souvent direct, s’adapte parfaitement à l’atmosphère de l’histoire et décrit avec précision la suite d’évènements et les ressentis des uns et des autres.
Au final, Karen Maitland nous offre ici un roman aussi réussi que "La compagnie des menteurs" (malgré une construction complètement différente), dans une atmosphère sombre et ensorcelante, elle fait évoluer des personnages originaux et complexes, dont les liens et les secrets créent un suspens prenant qui pousse le lecteur à dévorer ces quelques sept cents pages. Donc un très bon roman, qui ne plaira sans doute pas à tout le monde à cause de sa construction, mais qu'il serait dommage de bouder tant l'univers est riche et ses personnages haut en couleur. Un grand plaisir de lecture. Un polar érudit et foisonnant à découvrir d’urgence !!!  

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