mardi 9 octobre 2012

Livre - Le monde à l'endroit de Ron Rash

Le monde à l'endroit
                                     de Ron Rash

Note : 4.5 / 5

Synopsis :
Travis Shelton est un jeune gars de dix-sept ans, en perpétuel conflit avec son père, un peu bravache, un peu paumé. L’été où débute ce roman, un jour de pêche à la truite, le hasard lui offre l’occasion de commettre la bêtise qui va sans doute changer le cours de sa vie : il tombe sur une plantation clandestine de chanvre indien. C’est un jeu d’enfant de couper quelques pieds et de charger le plateau de son pick-up.
Pour écouler la moisson miraculeuse, il s’adresse à un ancien prof devenu dealer, Leonard Shuler. Trois récoltes scélérates plus tard, Travis est surpris par le propriétaire du champ, l’intraitable Carlton Toomey, qui lui sectionne au couteau le tendon d’Achille, histoire de lui apprendre qu’on ne vole pas le bien d’autrui. Mais ce ne sera pas la seule leçon de cet été-là : Travis quitte ensuite la maison paternelle et trouve refuge dans le mobile home de Leonard, qui va devenir son mentor.
À cette occasion, Travis découvrira les lourds secrets qui pèsent sur la communauté de Shelton Laurel depuis un massacre perpétré pendant la Guerre de Sécession, et se trouvera confronté aux doutes engendrés par le passé. Le passage à la stature d’homme se fera certes, et comme souvent, au prix de la découverte de l’amour et de la rupture avec le père, mais il y aura aussi un prix plus fort à payer, qui aura pour monnaie le sang.

Critique :
Trois ans après "Un pied au paradis" et un an après "Serena", voici "Le Monde à l'endroit", nouvelle virée dans un monde âpre, archaïque où les hommes et les femmes sont élevés dans la rudesse, où la religion et les superstitions cohabitent, où les fantômes n'ont pas besoin de draps blancs pour vous faire sentir leur présence. Troisième roman de Ron Rash donc, "Le monde à l'endroit" impose l'auteur comme l'écrivain des Appalaches, fidèle à cette tradition du nature writing, chère à Jim Harrison. 
Cette fois, Ron Rash nous dit que non seulement l'homme est façonné par la nature qui l'a vu naître et grandir (ici les montagnes de Caroline du Nord) mais également par le passé qui peut ressurgir à tout instant. Presque classique. Son personnage principal, Travis Shelton, 17 ans est une caricature de rebelle à l'autorité paternelle, un white anglo saxon protestant de base. Sauf que le destin va en faire un personnage lumineux.
D'un côté, une nature intègre, paisible, lumineuse. Des montagnes, à pic, des cours d'eau paisibles, nimbés de douceur. De l'autre, des hommes, des femmes, d'une noirceur sans fin, sans fond. Travis, un adolescent de 17 ans, s'essaye à vivre dans ce milieu, tant bien que mal. Un monde à l'endroit ? Il a plutôt l'impression d'être comme sur un manège à la foire, dans un monde qui n'est plus trop d'aplomb. D'ailleurs, quand on y regarde de plus près, ce paysage en apparence tranquille et rassurant recèle des ombres cachées, des fantômes d'un autre temps. C'est ce qu'il va apprendre au contact de Leonard, un dealer paumé qui le recueille. Entre ombres et lumière, la vie et la mort se côtoient tandis que le temps laisse "tomber ses secondes goutte à goutte".
"Le monde à l'endroit" demeure un roman noir tout du long. À l'inverse des deux premiers Rash, ce nouveau roman est plus ramassé et centré sur les hommes. Ce que veut Rash, c'est creuser au plus profond du passé américain, pour en comprendre les hommes et déterrer leurs actions déraisonnables. Pour Travis, son irascible de père, l'inquiétant Toomey et le mystérieux Leonard sont trois défis qu'il va devoir relever pour grandir et se dépasser. Pour Ron Rash, la rédemption peut venir du savoir : connaître ses origines, son histoire, permet de grandir et d'échapper à un morne destin.
"Le monde à l'endroit" est un roman noir qui joue habilement sur les contrastes. On est frappé d'emblée par la majesté des paysages décrits dans une langue poétique apaisante. Le rythme est lent, Ron Rash semble poser le décor. L'envers des mots laisse cependant affleurer une réalité en demi-teinte : "les arbres se firent plus denses, quelques bouleaux des rivières pareils à des lames de lumière emprisonnées parmi les feuillus plus sombres". Car les montagnes portent ici, dans leur majesté même, leur part de menace et d'obscurité. Les fantômes de la guerre de Sécession hantent les lieux. Ron Rash joue aussi sur le contraste entre le passé et le présent, liés par un fil ténu qui reste, au moins au début, énigmatique.
Lyrique et terrien, usant d'une écriture ample et sans artifice, Ron Rash n'est pas un donneur de leçons, mais il pense que les livres peuvent sauver les hommes. Dans un paysage somptueux, sauvage, Ron Rash, contemplatif, démontre que la fureur des hommes reste dévastatrice, mortifère. Pendant la Guerre de Sécession comme aujourd'hui. "Le monde à l'endroit" est aussi riche en chlorophylle qu'il est fort en testostérone, un roman initiatique dur, tragique, qui confirme le talent extravagant de cet auteur.
"Le monde à l'endroit" est une œuvre lumineuse dans sa façon de distiller la noirceur humaine, perpétuellement aux prises avec ses parts d'ombres, ses errances, ses failles, mais aussi ses forces et points d'appui. Un livre puissant et implacable, tressage habile du passé et du présent sur une terre maudite qui met en exergue l'enfermement dans les valeurs familiales et les limites humaines !!!

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