jeudi 13 septembre 2012

DVD - Bullhead de Michaël R. Roskam

Michaël R. Roskam - Bullhead : Un requiem vengeur, puissant et ultra-maîtrisé qui alterne les pics d'intensité avec les moments de grâce !!!

Note : 4.5 / 5

Synopsis :
Jacky est issu d'une importante famille d'agriculteurs et d'engraisseurs du sud du Limbourg. A 33 ans, il apparaît comme un être renfermé et imprévisible, parfois violent. Grâce à sa collaboration avec un vétérinaire corrompu, Jacky s’est forgé une belle place dans le milieu de la mafia des hormones. 
Alors qu’il est en passe de conclure un marché exclusif avec le plus puissant des trafiquants d'hormones de Flandre occidentale, un agent fédéral est assassiné. C’est le branle-bas de combat parmi les policiers. Les choses se compliquent pour Jacky et tandis que l’étau se resserre autour de lui, tout son passé, et ses lourds secrets, ressurgissent !!!

Critique :
Rarement l’expression "film phénomène" aura trouvé plus juste utilisation qu’avec "Bullhead", le premier long métrage de Michaël R. Roskam. Étrange objet cinématographique sorti de nulle part et écrasant tout sur son passage, "Bullhead" se situe à la lisière entre le drame rural intimiste et le thriller mafieux en plein milieu du trafic d’hormones. Le réalisateur nous embarque dans une histoire de mafia, de trafic d’hormones sur fond d’élevage de bovins. Mais tout ceci n’est qu’un contexte, car ce fond d’histoire sert surtout à présenter le portrait d’un personnage blessé au charisme impressionnant : Jacky.
Avec un préambule en voix-off, d'une noirceur infinie, affirmant que quand les choses ne sont pas réglées dans le passé, cela resurgit forcément un jour ou l'autre, "Bullhead", film flamand, navigue du côté du polar, tout en faisant progressivement de plus en plus de place au drame humain. Pesant, "Bullhead" l’est dès son premier plan donc, avec ce paysage et cette voix off qui donnent le ton d’un pessimisme qui ne faiblira jamais, transformant l’expérience en quelque chose de véritablement éprouvant, voire bouleversant.
L'intrigue, une sombre histoire de lutte d'influences et de trafic d'hormones chez les éleveurs bovins de Belgique, remet face-à-face après 20 ans de séparation, deux amis d'enfance. En présence l'un de l'autre, une gêne insaisissable est immédiatement palpable, mais restera longtemps inexpliquée, le scénario ménageant avec subtilité le suspense. Les deux interprètes sont pour beaucoup dans la perception du malaise ambiant. 
Parmi eux, il y a Jacky, un trentenaire ultra baraqué, qui semble en permanence sous influence, un œil à moitié clos, le regard dans le vague, empli d'une rancœur ou d'une haine dont on finira plus tard par comprendre les raisons. Ce dernier s'injecte des hormones par piqûres intra-musculaires et prises de cachets. Il constitue une véritable bombe à retardement, une montagne de muscles au visage ponctuellement humain. Il a de quoi effrayer autant le spectateur que son ami, personnage trouble, qui s'avère aussi craintif que fuyant.
Une fois le terrible secret qui unit les deux hommes révélé, le scénario peut dérouler une deuxième partie encore plus sombre, aussi angoissante qu'étrangement émouvante. Une flopée de personnages, plus louches ou dégénérés les uns que les autres, les entoure, dont un personnage féminin pris au piège dans ce sac de vipères et qui pourrait offrir une planche de salut au héros maudit du film.
Tout est dualité dans ce film, de la construction narrative aux personnages, en passant par le traitement visuel. Le premier effort considérable vient de son scénario, clairement. Avec le personnage de Jacky, introduit dès l’ouverture comme une brute monstrueuse shootée aux anabolisants, le film s’ouvre sur le registre du thriller mâtiné de comédie noire en braquant le projecteur sur une série de personnages tous plus sombres les uns que les autres, assez avares en paroles et constituant au fur et à mesure le puzzle d’un univers méconnu.
Pour son premier long-métrage, le jeune réalisateur flamand Michael R. Roskam compose une incroyable tragédie, bousculant les genres avec aplomb et dépeignant un environnement masculin avec une sensibilité toute féminine. Le corps maladivement sculptural de son incroyable comédien, Matthias Schoenaerts, traduit à lui seul la dimension tragique du héros, sorte de créature de Frankenstein au regard d’enfant effrayé, ivre d’amour et de vengeance, dont la virilité a été sacrifiée et dont chaque geste désarticulé reflète le malaise. 
Matthias Schoenaerts
Roskam a trouvé chez son acteur principal, massif, troublant, tout en finesse, l’écrin magnifique pour son propos. L'acteur belge est impressionnant en monstre inquiétant ! À l'écran, cet homme fascine autant par sa froideur que par sa masse corporelle et son regard triste. L’acteur n’a pas besoin d’en dire beaucoup, son corps, cette masse, compense les sentiments qu’il n’arrive pas à délivrer par les coups. Cela parle déjà bien assez, mais il y a aussi et surtout cette détresse qui se lit dans son regard. Roskam filme son anti-héros comme un fermier emmène ses bêtes à l’abattoir. Il connait, et nous avec lui, le chemin qui l’attend mais nous ne pouvons nous détourner de lui. La faille de Jacky, qui le rend malgré tout humain et grâce à laquelle on s’attache profondément à lui, nous amène à ne plus le lâcher des yeux jusqu’à la fin du film qui nous achèvera par KO.
On reste hypnotisé par l’univers décrit avec un sens esthétique discret qui ne l’emporte jamais sur l’âpreté du décor et la noirceur du propos. Plastiquement aussi, les couleurs sombres dominent, avec des plans magnifiquement léchés, où les percées de lumière semblent citer Rembrandt.
Véritable coup de poing, on ressort de "Bullhead" vraiment secoué par la maîtrise de Michael R. Roskam pour faire passer un sujet difficile et finalement bien plus large et intime qu’on ne pourrait le croire. Mais surtout la performance de Matthias Schoenaerts secoue. Aucun doute, nous avons affaire ici non seulement à l’un des films les plus marquants de l’année dernière, mais aussi à un réalisateur et un comédien à suivre de très près. "Bullhead"... Un uppercut émotionnel auquel on ne s’attendait pas, et la naissance éclatante d’un talent tout simplement immense !!!  

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