mardi 4 septembre 2012

Ciné - Killer Joe du mythique William Friedkin

Killer Joe : Une descente aux enfers trash, provocatrice et dérangeante !!!

Note : 4.5 / 5

Synopsis :
A Dallas, un détective est aussi tueur à gages. Lorsque Chris, un dealer de 22 ans, voit son stock dévalisé par sa mère, il est contraint de trouver la somme de 6 000 dollars au plus vite, s’il ne veut pas mourir. 
Désespéré, il se tourne vers "Killer Joe" lorsqu’il s’aperçoit que l’assurance-vie de sa mère s’élève à 50 000 dollars. Bien que Joe ait pour habitude d’être payé à l’avance, il accepte d’assouplir ses règles à condition que Dottie, la séduisante petite sœur de Chris, serve de "garantie sexuelle" jusqu’à ce qu’il soit payé... si ce jour vient.

Critique :
William Friedkin est l’un des rares vétérans réalisateurs à parvenir encore à nous prendre aux tripes et à nous maintenir sous pression, voire presque en apnée, lors de scènes clés cruciales. Si l’on retient fondamentalement dans sa filmographie "French Connection" et "L’Exorciste", deux œuvres monumentales qui ont bouleversé les codes de leurs genres dédiés dans les années 70 et qui restent encore à ce jour des références culturelles, le réalisateur américain âgé de 77 ans exprime avec toujours autant de ferveur sa hargne cinématographique.
Après l’incroyable et jubilatoire thriller paranoïaque et claustrophobe "Bug" en 2006, il revient avec l’adaptation d’une seconde pièce de théâtre sortie en 1993 du dramaturge américain Tracy Letts, lauréat du prix Pulitzer, également en charge de l’écriture du scénario. On ne change pas une équipe qui gagne ! Avec "Killer Joe", William Friedkin signe d’une main de maître un bijou d’humour noir, poisseux et sans concession, qui a remué l’assistance américaine depuis sa diffusion au Festival de Toronto pour son contenu jugé troublant au regard des scènes de violence, de sexe et de brutalité.
Tel quel, il s'agit d'une descente aux enfers convulsive, un opéra white trash allant très loin dans l'outrance (nudité frontale, perversions sexuelles, hallucinations collectives, violence hardcore), une bonne blague provocatrice et dérangeante. Cette description abrasive de l'Amérique péquenaude peut donner l'impression d'avoir été mille fois vue, notamment chez Tennessee Williams, mais Friedkin réussit à renouveler le thème de l'ambiguïté morale, son sujet de prédilection, en lui donnant une complexité inédite. Toujours aussi rebelle dans l’âme, près de 40 ans plus tard, Friedkin n’y va pas avec le dos de la cuillère pour nous jeter en pleine face le visage peu reluisant de l’Amérique.
Dès les premières images, le ton est donné. Sous une pluie battante à ne pas mettre un chien dehors, Chris (Emile Hirsch) semble particulièrement perturbé par la tournure des événements lorsqu’il déboule sur le perron de la bicoque paternelle. Accueilli par sa belle-mère (Gina Gershon), la touffe à l’air, il trouve son père (Thomas Haden Church) captivé par un show de monster trucks à la télévision, une cannette de bière à la main, tandis que Dottie (Juno Temple), sa sœur à peine pubère, s’ennuie à périr dans sa chambre. En l’espace de quelques minutes, Friedkin nous introduit dans l’intimité profonde d’une famille recomposée de la basse classe américaine, avec un humour incisif et désabusé qui fait autant rire que froid dans le dos.
L’œuvre est subversive, mais elle est avant tout brillamment réalisée et intelligemment écrite sous la plume affûtée de Letts qui parvient à séduire l’auditoire par sa verve tranchante dans une orchestration de répliques et de dialogues cyniques et désopilants. Le dramaturge et scénariste, qui a tout d’un Tennessee Williams moderne plus acide et plus sombre, permet ainsi de se détacher de la noirceur de son propos dans ce récit concentré sur l’éclatement d’une famille dysfonctionnelle. 
"Killer Joe" est un film qui s’amuse avec les conventions et les genres qu’il bouscule allègrement. C’est le film d’un vieux roublard qui a la bonne idée de se prendre pour un jeune loup en y apportant toute sa maîtrise. Car c’est bien en cela que "Killer Joe" impressionne le plus, sa maîtrise, qui derrière le vernis de la folie douce laisse apparaître une mécanique impeccable, celle des grands cinéastes conteurs.
La surprise est que si ses précédents films ne dépeignaient pas nécessairement une humanité toute rose, on était loin de se douter qu’il en viendrait à signer un portrait aussi sombre. Car le film scrute l’être humain dans ce qu’il a de plus noir tout en malmenant les notions de bien et de mal, les remplaçant généralement par le mal et le encore plus mauvais.
Derrière sa violence outrancière, que le réalisateur n’hésite pas à filmer frontalement à l’image du passage à tabac de Chris, plein cadre, "Killer Joe" est un film extrêmement raffiné. Une sorte d’élégance qui provoque tout autant le malaise que ce qui se déroule dans le cadre, comme lors de la première soirée entre Joe et Dottie, et qui donne aux acteurs, tous formidables, un terrain de jeu idéal. Si Emile Hirsch confirme à nouveau tout le bien qu’on pouvait penser de lui, tout comme Juno Temple qui n’en finit pas d’impressionner par son aura et qui bénéficie là d’un rôle à la hauteur de son talent, et central, c’est Matthew McConaughey, magnétique et flippant, qui crève l’écran. L’acteur brise avec fracs son image de beau gosse et campe un ange exterminateur bluffant, et fait entrer Killer Joe Cooper au panthéon des figures masculines majeures du cinéma de William Friedkin, aux côtés de Popeye, Jackie Scanlon, Steve Burns et Richard Chance. Impressionnant.
Friedkin semble avoir retrouvé une seconde jeunesse pour notre plus grand bonheur, fruit de sa collaboration avec le formidable scénariste Tracy Letts, amorcée il y a cinq ans avec le démentiel "Bug". Il se pourrait bien que "Killer Joe" soit son chef-d’œuvre définitif, rien de moins ! Chapeau bas l’artiste !!! 

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