Note : 4.5 / 5
Synopsis :
Huit ans après la disparition de deux soldats
américains lors de l'invasion de Bagdad, l'un d'entre eux, le sergent Nicholas Brody, réapparaît,
seul survivant alors que tout le monde le pensait mort depuis longtemps.
Rapatrié aux États-Unis, il est accueilli chaleureusement par sa
famille, ses amis et le gouvernement.
Seule contre tous, l'agent de la
CIA Carrie Mathison, qui a passé plusieurs années en Afghanistan, est
persuadée que le héros est en réalité devenu un espion à la solde de
l'ennemi, préparant la prochaine attaque terroriste sur le sol
américain. Sans réelle preuve et montrée du doigt suite à un incident
diplomatique qu'elle a déclenché quelques mois plus tôt, Carrie va
devoir se battre pour prouver que ce qu'elle avance est la réalité.
Critique :
Grosse claque que ce "Homeland", qui laissait pourtant présager, vu son
pitch, une énième série américaine à la "24h Chrono" ou "Lost", une série
grand public accro aux rebonds scénaristiques aussi grossiers
qu'irréalistes... C'est tout le contraire ! "Homeland" démarre assez
modestement, sur une mécanique simple : l'enquêteuse acharnée contre le
bad guy potentiel, l'individu mystérieux aux desseins troubles.
Son pilote impose d'emblée "Homeland"
comme la série la plus originale des nouveautés de cette rentrée. Avec
son image crue, son atmosphère
paranoïaque et addictive, et son personnage féminin particulièrement
réussi, fait rarissime dans le genre d'espionnage, la nouvelle
production de Showtime est parvenue, au fil de ses 12 épisodes, à
imposer son intrigue savoureuse, avec une lenteur extrême, à contre
temps du développement souvent frénétique des nouvelles séries.
Adaptée de la série israélienne "Hatufim", "Homeland" observe donc le jeu du chat et de la souris auquel se livrent un ancien prisonnier de retour d'Irak et une enquêtrice de la CIA bipolaire.
Très fluide dans sa narration, "Homeland"
nous entraîne avec une aisance parfois déconcertante dans cette
Amérique paranoïaque rongée par la peur d’un nouvel 11 septembre.
L’ennemi est partout et nul part à la fois et l’arrivée miraculeuse de
ce soldat va mettre le feu au poudre. Sur ce point précis, "Homeland" est une véritable réussite. Jusqu’au huitième épisode le mystère plane sur ce soldat (interprétation très juste de Damian Lewis)
et, malgré quelques indices dispersés ici et là, on ne sait jamais avec
certitude dans quel camp il se situe. A ses côtés, les acteurs Morena
Baccarin ("V"), Mandy Patinkin ("Esprits Criminels") et surtout Claire Danes
magnétique dans ce personnage à double tranchant assurent les
transitions entre chaque nouvel élément d’une enquête brillamment
écrite. Mention spéciale pour ma part à Damian Lewis, qui est impeccable dans le rôle de Brody. L’intensité dans son
regard dans le bunker du vice-président mérite à elle seule un prix.
Néanmoins, outre cette intrigue bien maîtrisée, "Homeland"
puise sa force dans la manière d’exposer au grand jour le conflit entre
catholiques et musulmans. Très loin des clichés manichéens qui font des
musulmans les méchants barbus assoiffés de sang et de pouvoir, les
scénaristes ne voient ni blanc ni noir mais plutôt gris. Les oppositions
entre les deux camps sont certes légions mais chacun d’entre eux est
excusable et méprisable à un moment donné. Il n’y a pas de d’ennemis qui
se distinguent et cette complexité est parfaitement exploitée à travers
la psychologie du personnage ambigu de Nicholas Brody.
Emportés donc par le jeu fiévreux et dense
de Claire Danes et Damian Lewis, "Homeland" est une série complexe, à
l’identification difficile.
Entre deux genres, à l’intrigue à tiroirs, la série
cultive un arsenal militaire et familial comme aucune autre série. Souvent
comparés à "24 h chrono", par sa dimension géopolitique et
diplomatique, la série n’a pourtant rien à voir. Plus proche de la latence de
"Rubicon" (autre série surprenante), par son aspect morne, ses
questionnements en attente, son doute permanent, "Homeland" veille
davantage à entretenir une ambiance paranoïaque qu’une toile d’action pure et
dure mêlant CIA et terrorisme.
La plus grande force de la série est
de ne jamais aller du côté de l’attendu, monter une guerre froide entre
les deux camps, diaboliser le traître américain, "héroïser" la jeune
femme fragile seule contre tous. Le climat entretenu est constamment
flou, prenant, d’une densité rare et d’une psychologie osée. A aucun moment, dans sa progression, "Homeland"
s'appuie d’ailleurs sur les révélations, la série préférait les laissant filer
comme des projectiles ambigus, dont on ne sait que faire.
La première partie de la saison 1 est
extrêmement prenante et intrigante, les scénaristes laissant, comme je l'ai dit
ci-dessus, planer un terrible flou, renforçant le caractère paranoïaque. La deuxième partie de la saison est, quant à elle, vraiment surprenante en partant dans des
directions inattendues, mais retombant toujours sur ses pattes. La lente descente dans la folie de Carrie Mathison est la ligne de force
des derniers épisodes de la série. Elle illustre à la fois la
paranoïa dans laquelle elle vit, et, a fortiori, dans laquelle vivent les États-Unis, mais cette démence n'interdit pas la vérité. Enfin, les derniers
épisodes permettent d'accentuer le caractère paternel de Saul Berenson
(Mandy Patinkin). Le lien qui l'unit à Carrie Mathison est
particulièrement intéressant du point de vue de la représentation du
père : il est à la fois un mentor, mais également un confident et un ami.
Celui qui derrière le tunnel de la folie voit la lumière de la
déduction et de l'intelligence.
Le
final de la série, présageant d’une seconde saison encore plus palpitante et
ténue que ce chapitre inaugurale, aussi travaillé et intelligent que le reste
des épisodes, démontre la haute capacité "d’Homeland", son regard contemporain,
loin des sentiers scénaristiques creusés par les clichés et l’attendu.
Le monde a changé, les séries aussi. "Homeland" a intégré comme
si de rien n’était une décennie de révolutions narratives et de héros
déphasés pour déplacer les équilibres traditionnels : le Mal y est
incarné par un soldat de la bannière étoilée, père de famille ; le Bien
repose sur les frêles épaules d’une jeune femme qui gobe des pilules et
pourrait bien halluciner. La maladie mentale de l’héroïne est incorporée
à l’intrigue comme un élément incontrôlable, un puissant vecteur de
récit. Férocement bâtie, complexe et
tendre à la fois, provocante et sévèrement moderne, servie par deux
acteurs (Danes et Lewis) au paroxysme du talent, Homeland est la série
évènement du courant actuel. Déjà indispensable !!!
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