Note : 4.5 / 5
Synopsis :
A Dallas, un détective est aussi tueur à gages.
Lorsque Chris, un dealer de 22 ans, voit son stock dévalisé par sa mère,
il est contraint de trouver la somme de 6 000 dollars au plus vite,
s’il ne veut pas mourir.
Désespéré, il se tourne vers "Killer Joe"
lorsqu’il s’aperçoit que l’assurance-vie de sa mère s’élève à 50 000
dollars. Bien que Joe ait pour habitude d’être payé à l’avance, il
accepte d’assouplir ses règles à condition que Dottie, la séduisante
petite sœur de Chris, serve de "garantie sexuelle" jusqu’à ce qu’il soit
payé... si ce jour vient.
Critique :
William Friedkin est l’un des rares vétérans réalisateurs à parvenir
encore à nous prendre aux tripes et à nous maintenir sous pression,
voire presque en apnée, lors de scènes clés cruciales. Si l’on retient
fondamentalement dans sa filmographie "French Connection" et "L’Exorciste",
deux œuvres monumentales qui ont bouleversé les codes de leurs genres
dédiés dans les années 70 et qui restent encore à ce jour des références
culturelles, le réalisateur américain âgé de 77 ans exprime
avec toujours autant de ferveur sa hargne cinématographique.
Après
l’incroyable et jubilatoire thriller paranoïaque et claustrophobe "Bug"
en 2006, il revient avec l’adaptation d’une seconde pièce de théâtre
sortie en 1993 du dramaturge américain Tracy Letts, lauréat du prix
Pulitzer, également en charge de l’écriture du scénario. On ne change
pas une équipe qui gagne ! Avec "Killer Joe", William
Friedkin signe d’une main de maître un bijou d’humour noir, poisseux et
sans concession, qui a remué l’assistance américaine depuis sa diffusion
au Festival de Toronto pour son contenu jugé troublant au regard des
scènes de violence, de sexe et de brutalité.
Tel quel, il s'agit d'une descente aux enfers convulsive, un opéra white
trash allant très loin dans l'outrance (nudité frontale, perversions
sexuelles, hallucinations collectives, violence hardcore), une bonne
blague provocatrice et dérangeante. Cette description abrasive de
l'Amérique péquenaude peut donner l'impression d'avoir été mille fois
vue, notamment chez Tennessee Williams, mais Friedkin réussit à
renouveler le thème de l'ambiguïté morale, son sujet de prédilection,
en lui donnant une complexité inédite. Toujours aussi rebelle dans l’âme, près de 40 ans plus tard, Friedkin
n’y va pas avec le dos de la cuillère pour nous jeter en pleine face le
visage peu reluisant de l’Amérique.
Dès les premières images, le ton est donné. Sous une pluie battante à ne
pas mettre un chien dehors, Chris
(Emile Hirsch) semble particulièrement perturbé par la tournure des
événements lorsqu’il déboule sur le perron de la bicoque paternelle.
Accueilli par sa belle-mère (Gina Gershon), la touffe à l’air, il trouve
son père (Thomas Haden Church) captivé par un show de monster trucks à
la télévision, une cannette de bière à la main, tandis que Dottie (Juno
Temple), sa sœur à peine pubère, s’ennuie à périr dans sa chambre. En
l’espace de quelques minutes, Friedkin nous introduit dans l’intimité
profonde d’une famille recomposée de la basse classe américaine, avec un
humour incisif et désabusé qui fait autant rire que froid dans le dos.
L’œuvre est subversive, mais elle est avant tout brillamment réalisée et
intelligemment écrite sous la plume affûtée de Letts qui parvient à
séduire l’auditoire par sa verve tranchante dans une orchestration de
répliques et de dialogues cyniques et désopilants. Le dramaturge et
scénariste, qui a tout d’un Tennessee Williams moderne plus acide et
plus sombre, permet ainsi de se détacher de la noirceur de son propos
dans ce récit concentré sur l’éclatement d’une famille dysfonctionnelle.
"Killer Joe" est un film qui s’amuse avec les
conventions et les genres qu’il bouscule allègrement. C’est le film d’un
vieux roublard qui a la bonne idée de se prendre pour un jeune loup en y
apportant toute sa maîtrise. Car c’est bien en cela que "Killer Joe"
impressionne le plus, sa maîtrise, qui derrière le vernis de la folie
douce laisse apparaître une mécanique impeccable, celle des grands
cinéastes conteurs.
La surprise est que si ses précédents films ne dépeignaient pas
nécessairement une humanité toute rose, on était loin de se douter qu’il
en viendrait à signer un portrait aussi sombre. Car le film
scrute l’être humain dans ce qu’il a de plus noir tout en malmenant les
notions de bien et de mal, les remplaçant généralement par le mal et le
encore plus mauvais.
Derrière sa violence outrancière, que le réalisateur n’hésite pas à
filmer frontalement à l’image du passage à tabac de Chris, plein cadre, "Killer Joe"
est un film extrêmement raffiné. Une sorte d’élégance qui provoque tout
autant le malaise que ce qui se déroule dans le cadre, comme lors de la
première soirée entre Joe et Dottie, et qui donne aux acteurs, tous
formidables, un terrain de jeu idéal. Si Emile Hirsch confirme à nouveau tout le bien qu’on pouvait penser de lui, tout comme Juno Temple qui n’en finit pas d’impressionner par son aura et qui bénéficie là d’un rôle à la hauteur de son talent, et central, c’est Matthew McConaughey, magnétique et flippant,
qui crève l’écran. L’acteur brise avec fracs son image de beau gosse et
campe un ange exterminateur bluffant, et fait entrer Killer Joe Cooper
au panthéon des figures masculines majeures du cinéma de William Friedkin, aux côtés de Popeye, Jackie Scanlon, Steve Burns et Richard Chance. Impressionnant.
Friedkin semble avoir retrouvé une seconde jeunesse pour notre plus
grand bonheur, fruit de sa collaboration avec le formidable scénariste
Tracy Letts, amorcée il y a cinq ans avec le démentiel "Bug". Il se pourrait bien que "Killer Joe" soit son chef-d’œuvre définitif, rien de moins ! Chapeau bas l’artiste !!!
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