dimanche 2 juin 2013

Livre (Manga) - Cesare de Fuyumi Soryô

Fuyumi Soryô - Cesare : Un travail incroyable de réhabilitation supervisé par un historien pour un manga colossal !!!

Note : 4.25 / 5

Synopsis :
1491, Pise, Italie. Angelo commence l’université aujourd’hui. Le jeune homme est issu d’une famille d’artisans mais l’homme pour qui travaillait son grand-père, Lorenzo de Medicis, est un riche bienfaiteur qui a décelé en lui du talent. Il l’a donc fait intégrer la Sapienza, la prestigieuse université de Pise. Angelo lit et étudie énormément, mais les livres ne lui ont pas appris à se comporter en société au milieu des fils de bonne famille.
A son arrivée, il apprend que les étudiants se regroupent en fonction de leur région d’origine : il fera donc partie du cercle des florentins, dirigé par Giovanni, le fils de Lorenzo. Dès le premier jour, Angelo enchaîne malheureusement les bourdes : il appelle Giovanni par son prénom au lieu "d’excellence" (le jeune homme est destiné à devenir cardinal à la fin de ses études), et lors d’un cours il répond au professeur mieux que ne vient de le faire son aîné. Pour lui montrer qu’il ne lui en veut pas, Giovanni l’invite à une chevauchée au cours de l’après-midi.
Angelo n’a pas l’habitude de monter à cheval et n’est pas à l’aise. Aussi, lorsque Draghignazzo, le bras droit de Giovanni, agissant sur ordre de ce dernier, décide de lui donner une leçon en lançant son cheval au galop, Angelo n’arrive plus à le maîtriser et fonce droit vers un précipice. In extremis, un autre cavalier arrive à son secours et arrête la course folle de la bête. Il s’agit de Cesare Borgia, le chef du cercle des espagnols et plus grand rival de Giovanni. Dès lors, Angelo va découvrir la réalité cachée des luttes de pouvoirs d’aujourd’hui et de demain auprès de Cesare dont il se rapprochera de plus en plus, tandis qu’il devra par ailleurs rester soumis à Giovanni.
Critique :
Alors que Canal+ et HBO ont sorti leur série sur les Borgia en même temps, un manga, très soigneusement édité par Ki-oon, propose de prendre le contre-pied des clichés sur cette famille à la réputation odieuse. "Cesare" se concentre sur le personnage de Cesare Borgia en le présentant comme un jeune génie politique et, tout ceci, à l'aide d'un conseiller historique très impliqué dans la genèse du manga.
Dans le domaine du manga, nous connaissons déjà plusieurs œuvres portant sur des personnages ou des événements historiques, comme "Vagabond", "Lady Oscar" ou "Au temps de Bocchan". Chaque auteur interprète librement les faits et les personnages historiques et nous propose son propre point de vue. Fuyumi Soryô, la dessinatrice de "Cesare", est connue pour ses shôjo des années 80, cependant, bien que son Cesare est un personnage masculin pouvant s'apparenter au style shôjo, tant au niveau du dessin qu’au niveau relationnel, avec "Cesare" nous sommes bien face à un seinen.
Fascinée par cette époque d'exception où se croisaient Leonardo da Vinci, Machiavelli et Botticelli, Fuyumi Soryô a accompli un extraordinaire travail de reconstitution. Épaulée par l'universitaire nippon et grand spécialiste de Dante Motoaki Hara, la mangaka a épluché et recoupé tous les documents disponi­bles.
Pouvoir, stupre, poison. Des mots qui, aujourd’hui encore, résument souvent les Borgia, père, fils et fille. Des termes réducteurs que la littérature, le cinéma, la télévision ou la BD ont largement fait leurs pour évoquer cette dynastie, alors même que les historiens ont apporté des nuances à cette légende noire, du moins en ce qui concerne Lucrèce et Cesare. Ce dernier doit une bonne partie de sa renommée à Nicola Machiavelli qui s’en est inspiré dans "Le Prince". Évêque à quinze ans, cardinal à seize, puis défroqué et chef de guerre, érudit et amateur d’art, supposé fratricide et incestueux, le personnage a de quoi fasciner, même les Japonais.
Sans occulter les zones d'ombre du personnage, Cesare, son portrait du plus controversé des Borgia, ne cède en rien au sensationnalisme et rétablit, au contraire, certaines vérités historiques mises à mal par les récentes adaptations télévisuelles. Nourrie par les idées et les questions qui agitaient les hommes de cette époque, cette fresque complexe, entamée depuis huit ans au Japon, donne surtout à réfléchir sur les notions d'individu, de pouvoir et de famille. Remarquable !
Autant dire que "Cesare" se place ainsi dans un souci de réalité historique, que ce soit dans le déroulement du scénario ou dans chacun des détails du background. En cela, il s’éloigne de la seule autre adaptation manga de cette partie de l’histoire, "Cantarella" qui apportait de nombreux éléments fantastiques au récit de la vie de Cesare Borgia.
Le côté romancé n’est pas mis de côté pour autant ici. Évitant le piège du simple report d’événements historiques, l’auteur prend pour héros principal un jeune étudiant qui va découvrir en même temps que le lecteur les us et coutumes de la société pisane ainsi que les rouages et les manigances du pouvoir religieux, de ceux qui le détiennent ou ceux qui veulent l’obtenir.
Sur l’aspect historique donc, Fuyumi Soryô s’est appliquée à être la plus précise possible, en prenant soin de ne pas tomber dans la simple description. L’introduction de sa série par l’intermédiaire du jeune Angelo, personnage candide et inculte de bien des choses, est plutôt bien pensée. En effet, si le personnage en lui-même est insignifiant au possible, sa présence au premier plan permet de donner un peu de relief à la mise en contexte.
Le récit se montre passionnant dès les premières pages, alors que les manigances n’ont même pas encore commencé. Le soin apporté aux détails permet en effet de rendre chaque page ou chaque dialogue intéressant. L’action se met en place lentement, Fuyumi Soryô prenant le temps de poser le maximum d’assise historique au récit. Il en résulte un rendu moins clinquant que dans les séries télé, mais sur la durée un contenu probablement plus intéressant. Et même si ces explications historiques prennent parfois le pas sur l’action, "Cesare" n’en reste pas moins un manga dynamique.
Graphiquement, la reconstitution s’avère réussie et séduit par la finesse et l’expressivité du trait autant que par le soin apporté aux décors (jusqu’à la Chapelle Sixtine qui a été restituée sans les fresques de Michel-Ange, plus tardives), ainsi qu’aux détails (en particulier pour les costumes). Les cadrages variés offrent par moments quelques très belles vues de la cité pisane, tandis que le découpage précis assure une bonne fluidité et un certain dynamisme. 
Mêlant Histoire, complexité et intensité du seinen manga, "Cesare" est une petite merveille. Si vous aviez déjà succombé aux mangas de Kaoru Mori ("Bride Stories", "Emma") pour la qualité des dessins, vous pouvez vous laisser tenter par Cesare. Les graphismes de Fuyumi Soryô sont magnifiques. J’ai souvent eu le souffle coupé dès qu’il s’agissait des représentations des hauts lieux de l’Histoire italienne. D’ailleurs, ces derniers nous plongent en pleine période de la Renaissance et les lecteurs ayant déjà étés en Italie se plairont à reconnaître les bâtiments. Les œuvres d’art ont, elles aussi, un rôle important pour Fuyumi Soryô. Ses reproductions des plus grands tableaux de la Renaissance italienne sont un vrai délice pour les yeux.
Au final, Fuyumi Soryô nous offre un récit palpitant dont la trame historique est agréablement transposée. Elle permet d’appréhender avec réalisme l’Italie du XVe siècle, en particulier les tensions qui occupent la curie, écho à une réalité plus contemporaine. Quant au dessin particulièrement subtil et précis, il est dans la lignée du célèbre seinen "Bersek", principalement au niveau des perspectives aériennes et des monuments architecturaux, offrant un panorama de décors somptueux, d’une précision remarquable. Ki-oon nous permet de pénétrer dans le monde terrible et fascinant de Cesare Borgia à ne surtout pas perdre !!!

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