Note : 3.75 / 5
Synopsis :
Dans un futur proche, la Mafia a mis au point un système infaillible
pour faire disparaître tous les témoins gênants. Elle expédie ses
victimes dans le passé, à notre époque, où des tueurs d’un genre nouveau
(les "Loopers", les "boucleurs") les éliminent.
Un jour, l’un d’entre eux, Joe, découvre
que la victime qu’il doit exécuter n’est autre que lui-même, avec 20
ans de plus. La machine si bien huilée déraille.
Critique :
Avec l’intrigant "Brick" (2006), dans lequel il tentait de conjuguer film noir et teen movie, l’auteur réalisateur Rian Johnson avait fait une entrée remarquée dans le cercle fermé des cinéastes US à suivre. Son deuxième long, "Une arnaque presque parfaite" (2009), avait ensuite violemment tempéré les ardeurs ! "Looper",
lui, est bien plus qu’une revanche : cette série B est la preuve que l’on avait
finalement sous-estimé Johnson qui, dès son troisième essai, affiche une
ambition et une assurance qui le propulsent dans la sphère des réalisateurs prometteurs à suivre.
Encore une fois il va mélanger les genres en montrant ses influences sans en être l’esclave. Il s’attaque cette fois à la science-fiction dans l’un de ses thèmes les plus fascinants mais aussi les plus casse-gueule,
celui du voyage dans le temps, tout en y intégrant des éléments propres
au film noir, au western ou encore aux comics et mangas, mais qu’il
s’approprie d’une manière tout à fait personnelle.
En effet, bien que situé en 2044, et nous plongeant d’emblée dans un univers SF
où les meurtres ne s’opèrent plus que par l’entremise de voyages dans
le temps, "Looper" commence comme un film noir hollywoodien des années 40. Tout est là, conforme : la voix off du narrateur qui se présente et décrit son quotidien de tueur à gages forcément solitaire ; les
arrière-salles de tripot où les gangsters préparent leurs méfaits ; même
l’apparence vestimentaire du héros, interprété avec un soupçon de
détachement adéquat par Joseph Gordon-Levitt, tient du total look
Raymond Chandler (pantalons à pinces, chemise blanche, cravate
parfaitement ajustée).
Concernant ce dernier, Johnson est très fort, et on peut dire qu’il a du flair. Faire de Joseph
Gordon-Levitt la tête d’affiche d’un blockbuster, il fallait oser. Souvent méconnaissable grâce à une tonne de maquillage, Gordon-Levitt compose avec conviction une crapule mafieuse de bas
étage. Il fait ainsi oublier son image de héros sympa, qui aurait pu lui
coller à la peau à force de sourires et de bonhomie.
La présence de Bruce Willis ne l’écrase pas, Rian Johnson n’ayant pas sacrifié son scénario au profit de la star. "Looper", c’est d’abord le point de vue de Joe-jeune. Willis a ses moments de gloire, et vous aurez même peut-être envie de crier Yippie-Kay-yee
lors d’une certaine scène, mais son temps d’écran est finalement assez
réduit. Une mimique, un sourire en coin suffira à réveiller les fans de
cinéma. Quant à Emily Blunt, disons qu’elle assure le job, il n’y pas
vraiment grand-chose à ajouter.
Avec un modeste budget de 30 millions de dollars, Johnson arrive dès les premières images à nous embarquer dans un univers palpable et violent que l’on a hâte d’explorer et qui se révèle à chaque séquence plus passionnant. Pour autant, malgré l’impression qu’il peut donner dans sa première partie menée à un rythme d’enfer et remplie d’idées de mise en scène parfois assez folles et percutantes pour nous faire découvrir cet univers, le réalisateur ne va pas chercher à faire un film spectaculaire.
Au contraire, il s’attache dans la seconde partie, plus posée, à développer ses personnages et à s’attarder sur des thèmes passionnants qui donnent alors toute sa profondeur au film et lui donne ce petit plus qui va le différencier de toute série B classique. D'ailleurs, la mémorable scène du face à face du vieux et du jeune Joe est un exemple fascinant. Elle fascine parce
qu'elle touche au désir atavique de connaître et maîtriser l'avenir.
Connaissance de toute façon illusoire puisqu'on n'en tiendra pas
compte ! On lit entre les lignes qu'on ne peut se combattre soi-même et
qu'il faut d'abord régler son passé avant de tenter de changer
l'avenir.
On le comprend, le scénario est un des points forts du film. L’attraction principale si je puis dire. Cependant il n’est pas exempt
de défauts. Qu’on se rassure, ces quelques observations ne gâchent pas
l’appréciation de l’ensemble. Abordons par exemple la question du
rythme. Après un départ et un premier acte scotchant (on boit les
paroles des personnages lorsqu’ils présentent les enjeux), le rythme
s’essouffle légèrement passé la première heure, avant de repartir de
plus belle pour le final. La faute peut-être aux interactions, ou plutôt
au manque d’interactions entre certains personnages.
Se pose aussi la question de la solidité de l’intrigue. Qui dit voyage
dans le temps dit casse-tête probable à la sortie pour recoller les
morceaux. Certains apprécient ce petit jeu, d’autres consommeront "Looper"
pour ce qu’il est, un excellent film d’action et de science-fiction.
Intéressons-nous aux premiers, qui ne classeront pas l’affaire tant que
tout ne sera pas élucidé. En analysant la chose par tous les bouts
possibles, le scénario semble fragile par moment à cause de ses trop nombreuses
zones d’ombre, que certains appelleront incohérences.
Malgré ces petites aspérités, le scénario est vraiment très original. Et si l'écriture de "Looper" est inventive, Rian Johnson sait aussi y faire du côté de la mise en scène.
Maitrise de la caméra, plans complètement retournés et mouvements bien
sentis, montage parfaitement lisible et logique qui tire même de la
force de ses ellipses et même l’ambiance sonore se révèle
particulièrement aboutie.
Beaucoup comparent le film à d'autres déjà cultes dans le genre. On a parlé de "Blade Runner", de "Bienvenue à Gattaca", j'ai même lu que "Looper" est le nouveau "Matrix" des années 2010... Je ne soutiens aucune de ces observations ! Le film rentrera certes dans les films cultes du genre, mais il n'arrive pas à la cheville de ces monstres de la SF !
"Looper" n'est pas parfait, mais il fait preuve de trop d'originalité et de richesse pour pinailler, dans le fond comme dans la forme. Le film possède une âme propre et racée, le rendant passionnant du début à la fin, avec ce qu’il faut d’action et de comédiens étonnants. Vous l’aurez compris, même s'il n'est pas du niveau des colosses du genre, cela n'empêchera pas "Looper" de rejoindre les incontournables du rayon SF. Il est et restera l’une de ces trop rares pépites de science-fiction !!!
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