de Chuck Palahniuk
Note : 3.75 / 5
Synopsis :
Cassie Wright, star du porno sur le retour, a décidé de terminer sa
carrière sur un coup d’éclat : se faire prendre devant les caméras par
six cents hommes au cours d’une seule nuit. Dans les coulisses, les
heureux élus attendent patiemment leur tour.
Parmi eux les numéros 72,
137 et 600 font part de leurs impressions. Mais, entre fausses
identités, désirs de vengeance et pulsions homicides, la nuit ne va pas
du tout se dérouler comme prévu.
Critique :
Longtemps le snuff movie a été une vilaine légende urbaine racontant qu'il existe un réseau de pornos clandestins, où les actrices se faisaient trucider en direct. L'expansion d'Internet a malheureusement permis à ce fantasme de devenir réalité (je pense notamment Luka Rocco Magnotta !).
Le sujet avait déjà inspiré le cinéma avec, notamment, le génialement oppressant "8 mm" de Joël Schumacher (avec Nicolas Cage et Joaquin Phoenix). C'est au tour de la littérature de s'y intéresser. Ainsi, après les clubs de baston ("Fight Club"), les ados terroristes ("Pygmy") et les renégats tarés ("Peste"), Chuck Palahniuk continue d’arpenter la société américaine par les marges et s’intéresse cette fois au milieu du porno. Et à son côté le plus extrême, glauque et répugnant, le snuff movie !
"Snuff", son dernier roman, se déroule justement en plein tournage d'un porno tout ce qu'il y a de plus régulier. Une entreprise qui va dégénérer, comme nous le promet le titre ainsi que, dès l'ouverture, l'un des quatre narrateurs. L’histoire est racontée par trois acteurs, un débutant, un acteur confirmé et une star masculine mythique du porno, auxquels il faut ajouter l'assistante de Cassie Wright, Sheila.
Palahniuk choisit donc de raconter les événements du point de vue de ces quatre protagonistes. De ce fait, nous suivons le tournage à travers les monologues intérieurs du numéro 75 (un admirateur de Cassie), le numéro 132 (son ancien partenaire), Sheila (son assistante) et Monsieur 600. Ce dernier devra jouer la scène finale et transformer "l'innocent" gang bang en snuff.
Comme d’habitude, Palahniuk ne s’embarrasse pas de dispositif narratif trop
élaboré. Son talent est dans la précision et la simplicité
de sa langue. L'auteur de "Fight Club" a choisi ici une langue qui colle littéralement à son sujet : appauvrie, crue et bancale. En évacuant tout fantasme de glamour de l'industrie du porno, Palahniuk essaye de se livrer à une véritable réflexion sur l'obscénité.
Avec "Snuff", Palahniuk prend une recette qui fonctionne : celle de "Peste". Il abandonne la narration fixée-panoramique au-dessus des
personnages ou la première personne pure, pour un récit multiforme et
polyphonique qui s'articule autour de témoignages, qu'ils soient ici
oraux ou flux de conscience. Exactement comme pour "Peste", mais à
plus petite échelle, le
récit prend la forme d'une enquête, enquête de seconde zone peut-être,
mais enquête malgré tout. L'enjeu : décrypter l'envers d'une réalité
donnée par le biais de visions multiples et fragmentées.
On reconnaît facilement un roman de Chuck Palahniuk. Le parti pris est toujours
volontairement chargé, osé, trash, la narration est toujours
brève et sèche, les paragraphes courts et les constructions répétitives.
Il y a toujours ces petits slogans qui reviennent toutes les cinq ou
dix pages pour forger une marque de fabrique qui accroche, idem pour les
paragraphes-phrases dont le but est de renforcer lapidairement en
quelques syllabes le propos du paragraphe précédent. C'est souvent sec
et cynique, c'est souvent acide et violent, tant pis pour l'Amérique
bien-pensante.
Le récit va crescendo avec des moments saisissants. Palahniuk
joue beaucoup sur l’aspect visuel, le rythme trépidant, les sensations
bien plus que les sentiments, dérangeant le lecteur qu’il cherche à
interpeller, ou le paragraphe d’après à le séduire, le tenter ou encore
le dégoûter le renvoyant à ses propres turpitudes. Le talent de cet
écrivain se situe dans cette virtuosité, ce vertige, qu’il rend aussi
drôle que terrifiant. Les anecdotes constituent alors l’analyse
sociologique qui apporte un vrai sens à cette intrigue quelque peu
décousue, racontées froidement en contraste avec la tension, la drogue
et le rock'n'roll qui règne sur ce tournage crépusculaire, cru où la
mort semble l’aboutissement inéluctable, horriblement rassurant.
Cependant, Palahniuk tombe une fois de plus dans le piège qu’il se tend lui-même. Il commence par dénoncer avec un talent fou la noirceur de notre société de consommation qui vend du sexe comme des surgelés. Mais finit par aimer ce qu’il dénonce. Cet exercice est si
jubilatoire, si jouissif que l’on sent que l’auteur bascule avec un vrai
bonheur dans cette folie ambiante. La fascination est si perceptible
que c’est bientôt elle qui peu à peu nous dérange plutôt que le propos.
Le lecteur devient alors un complice, la complaisance s’installe avec un
réel bonheur et l’ensemble tourne en rond par moment, perdant de sa force et de sa
puissance.
"Snuff" est vraiment plaisant (quoi qu'un peu mécanique), quand on apprécie l'auteur et son style !!!
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