dimanche 12 mai 2013

Série - Real Humans de Lars Lunström

Lars Lundström - Real Humans (100% Humain) : Lorsque la science-fiction sert habilement à traiter d'épineux problème de société !!!

Note : 4.25 / 5

Synopsis :
"Real Humans ("100% Humain") se situe dans une Suède alternative et contemporaine où les robots humanoïdes (Hubots) sont devenus des machines courantes dans la société. Ces Hubots sont très réalistes et sont configurés de telle sorte à remplir une large demande.
S'adaptant à tous les besoins humains, de la simple tâche ménagère à des activités plus dangereuses voire illégales, la société semble en dépendre. Une partie de la population refuse alors l'intégration de ces robots tandis que les machines manifestent des signes d'indépendance et de personnalité propre.

Critique :
Arte n'en finit pas de nous gâter avec des séries qui sortent des sentiers battus. Après le monde de la politique de "Borgen", de la religion avec "Ainsi Soient-ils", cette fois c'est le thème même de l'humain qui est disséqué dans "Real Humans".
Cette série suédoise a débarqué sur la chaîne tous les jeudis du mois d'avril jusqu'au 2 mai dernier, à raison de deux épisodes par soir, et aussi en coffret DVD déjà disponible. Dans cette fable à l'esthétique proche de "Bienvenue à Gattaca" (4.5/5 pour ce film d'Andrew Niccol sorti en 1997), les Hubots, robots à l'apparence humaine, vivent parmi nous. Et autant annoncer la couleur d'emblée, un must !
Série d’origine suédoise diffusée pour la première fois en 2012 sur la chaîne SVT1, "Real Humans" (titre original : "Äkta Människor") a été récemment proposée par la chaîne franco-allemande Arte sous le titre "Real Humans (100% Humain)". Cette série de science-fiction, créée par Lars Lundström, ne comprend pour le moment qu’une saison de dix épisodes de 52 minutes chacun. La seconde saison est actuellement en cours de tournage et devrait arriver sur nos écrans courant 2014.
Dans une Suède alternative et contemporaine, les androïdes ou hubots prennent une place prépondérante dans notre quotidien, et nous assistant aussi bien dans les tâches domestiques, les loisirs, la sexualité que dans les travaux manuels. Mais ces hubots sont-ils capables de sentiments, ont-ils une âme, ou sont-ils seulement des intelligences artificielles mimant avec réalisme nos attitudes humaines ?
Une société, parce qu'elle ne cesse de progresser, d'améliorer le quotidien de ses membres, de prendre en charge de plus en plus d'aspects de leur existence, porte-t-elle en elle-même les germes de sa propre destruction ? Sa course vers une remise en cause du toujours plus, du toujours mieux, est-elle vouée à un effondrement, à une défaite de ceux qui ont peu à peu abandonné à des machines les tâches qu'ils accomplissaient autrefois. En renonçant à un minimum de responsabilités n'hypothèquent-ils pas du même coup leur liberté et surtout leur pouvoir de décision ? La série débute d’emblée sur toutes ces interrogations, lorsque nous faisons dès les premières minutes la rencontre d’un groupe d’hubots indépendants, les "enfants de David".
David Eischer, scientifique de génie et co-inventeur des hubots, serait parvenu à implanter chez ses propres robots un logiciel évolutif les humanisant autant que possible. Ce groupe d’hubots, désormais mené par son fils, Leo Eischer, attaque une maison isolée pour lui voler du courant électrique. Le raid tourne au semi-fiasco lorsque plusieurs hubots sont abattus et que des trafiquants capturent Mimi, la hubot compagne de Leo. Ce dernier décide de partir à son secours, tandis que l’inquiétante hubot Niska prend la tête du groupe restant.
A partir de cette première séquence, la quasi-totalité de l’intrigue de cette première saison est posée : un groupe d’hubots sauvages poursuit un but assez flou (préparation d’une guerre contre les humains ou volonté de reconnaissance comme personnes à part entière ?) tandis que Leo Eischer, leur mystérieux guide, part seul à la recherche de sa compagne hubot dérobée.
Mais alors, qu'en penser de cette série ? D'abord, qu'elle renouvelle agréablement une fiction télévisuelle européenne plus versée dans le polar que dans la science-fiction. Ensuite, qu'elle offre, sur nos sociétés occidentales, un point de vue d'autant plus saisissant que le monde où évoluent les hubots n'est guère différent du nôtre. Le budget de la série ne permettait pas de faire les pieds aux murs avec les accessoires et les décors, et Lars Lundström, le créateur de "Real Humans", a fait de cette con­train­te un atout. "S'il avait fallu refabriquer tout un monde futuriste, l'attention du spectateur se serait constamment fixée sur des détails sans im­portance. Le vrai sujet de Real Humans, ce sont les in­teractions des humains et des robots. Rien d'autre !".
"Real humans" est un projet audacieux qui touche à des sujets sensibles et ne fait pas toujours dans la subtilité pour servir le propos. En observant les comportements humains au microscope, cette série met en lumière la dérive de nos sociétés de service qui engendrent une domination de classe flagrante. Lars Lundström a mené seul l’écriture de la première saison lui conférant une narration solide, un récit dense aux enjeux forts, ponctué de références à la littérature de science-fiction (notamment les trois lois Asimov, règles de programmation des androïdes visant à protéger les êtres humains instaurées par le romancier américain Isaac Asimov dans sa grande série sur les robots).
La série vient de Suède et cela est à peine une surprise. D'abord parce que ce pays, ainsi que le Danemark, est devenu un creuset des fictions télévisées de qualité depuis plusieurs années. Ensuite, parce que les créateurs suédois profitent de ce moyen pour critiquer un modèle social qui fut (et qui demeure) encore un exemple pour le reste de l'Europe pour son système de protection notamment pour les personnages âgées, les enfants mais également pour les demandeurs d'emploi.
"Real Humans" pousse à l'extrême la logique de ce système si harmonieux et si avantageux pour chaque individu. Ces machines humaines accomplissent toutes les tâches rébarbatives que les hommes ne souhaitent plus faire, "afin d'avoir du temps pour eux". En clair, les corvées ménagères, les transports de choses lourdes, les actes répétitifs et bien sûr l'assistance aux personnes âgées.
On pourrait penser que cette innovation est de nature à favoriser l'émergence d'une humanité plus éclairée, plus encline à apprendre, à se cultiver en profitant de son temps libre, une humanité qui aurait à ce point asservi la machine qu'elle pourrait se consacrer uniquement à vivre en harmonie. Il n'est rien. La bêtise, l'oisiveté et les sentiments haineux demeurent un apanage. En fait, les hubots deviennent la cible de certains hommes. Soit parce qu'ils s'en méfient et refusent la place croissante occupée par les machines, soit parce qu'ils les considèrent comme inférieurs et ont sans cesse besoin de leur rappeler une prétendue supériorité.
Si l’aspect machine vous dérange remplacez les hubots par n’importe quelle communauté (religieuse, ethnique ou sociale) et dès lors les thèmes du racisme, de l’esclavage, de la peur de la nouveauté et même du fantasme s’imposeront. J’en vois déjà qui s’insurgeront en pointant du doigt que ce sont des machines et non des êtres humains, pour ma part en voyant évoluer les affranchis et les humains je me demande lesquels manifestent le plus d’humanité.
La série offre une vision sombre de l’humanité, violente, assujettie à ses passions et ses pulsions, une humanité qui pervertit ses créations les transformant en objet sexuel, en arme, qui ne veut pas s’embarrasser des plus fragiles, des plus démunis et confie cette tâche jugée pénible à des machines. Miroir de nos hypocrisies et de nos frustrations, cette série où les hommes côtoient au quotidien des robots à leur image nous conduit à des questionnements éthiques d’un nouveau genre.
Cette première saison s’enchaîne à un rythme particulièrement lent, notamment en raison des nombreux personnages qu’il nous faut suivre à chaque épisode. Ce développement en douceur, qui privilégie beaucoup les intrigues secondaires par rapport à l’histoire principale, peut rebuter plus d’un téléspectateur, surtout si ce dernier reproche déjà aux séries suédoises une certaine torpeur scandinave ! Mais cette flânerie des scénaristes apparaît au contraire comme l’une des grandes forces de la série.
Les intrigues foisonnantes évoluent dans une atmosphère sophistiquée. La réalisation scandinave reconnaissable à l’esthétique épurée est ponctuée de plans saturés de lumière, moments contemplatifs non dénués d’une étrange mélancolie. La distribution est servie par d’excellents acteurs, avec une mention particulière pour ceux qui incarnent les Hubots, troublants dans leur interprétation d'humanoïdes quasiment inexpressifs.
Loin d’innover sur le plan de la science-fiction, "Real Humans" prend le temps d’explorer son univers, regorge de détails socio-économiques pertinents et met en scène un impressionnant travail de comédien de la part des acteurs incarnant ces fameux hubots. S’il est difficile de prendre la série en cours de route, son visionnage intégral offre cependant un spectacle des plus passionnants. Cette société suédoise, fortement modifiée par l’emploi d’hubots, est en pleine mutation. La machine androïde devient un membre à part entière du cercle familial, voire professionnel ; l’intrigue liée aux enfants de David mise à part, la question de la place des hubots au sein de cette société alternative reste posée.
Les personnages de Roger et de Thérèse en sont probablement les meilleurs témoins, aussi bien au niveau professionnel que familial. La prolifération des hubots reste en effet préoccupante, puisqu’elle ne fait qu’aggraver des problèmes socio-économiques déjà existants. Cet aspect prend d’ailleurs une teinte plutôt pessimiste avec le recours aux hubots pour les taches les plus manuelles (que sont devenus les ouvriers humains remplacés ?) ou encore la prostitution d’hubots (remplaçant le trafic humain par un trafic de robots présenté de manière tout aussi dérangeante).
La question religieuse est également abordée à travers un regard plutôt progressiste (notre pasteur étant une femme lesbienne) et tout aussi pertinent. Ainsi en créant des robots à notre image, nous laissons la porte ouverte à un regain de questionnements créationnistes, et la métaphysique ne tarde pas à s’inviter dans cette série en s’interrogeant sur l’âme des hubots.
La série est assez dérangeante et déroutante car elle pose de nombreuses questions sur l'avenir, sur l'image que nous en avons et ce que nous souhaiterions en faire. Elle se montre également inquiétante en raison de la vitesse avec laquelle les innovations sont intégrées dans notre quotidien et combien la résistance au progrès s'est assouplie au point de disparaître avec le temps. Au contraire, le progrès est attendu et souhaité, désormais, voire même anticipé. On veut tous la dernière version de telle ou telle chose.
Au final, "Real Humans" offre un très bon spectacle, capable de séduire aussi bien le néophyte que l’amateur de science-fiction. La figure romantique de la créature de Frankenstein imaginée par Mary Shelley a mené la science-fiction vers un genre particulier celui des androïdes à visage humain qui après avoir fait les beaux jours de la littérature a beaucoup inspiré le cinéma et la télévision de "Blade Runner" à "Battlestar Galactica" jouant sur le trouble engendré par la frontière floue entre ce qui est humain et ne l’est pas. Malmener des robots est répréhensible du point de vue moral pas pour les souffrances infligées mais pour le plaisir suscité par un acte violent, révélateur des pulsions les plus sombres de l’être humain. Une leçon intéressante à mettre en parallèle avec nos sociétés actuelles !!!

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