jeudi 2 mai 2013

Ciné - Mud de Jeff Nichols

Jeff Nichols - Mud : Un film riche et magiquement maîtrisé, atteignant parfois l'évidence des grands classiques !!!

Note : 4 / 5

Synopsis :
Ellis et Neckbone, 14 ans, découvrent lors d’une de leurs escapades quotidiennes, un homme réfugié sur une île au milieu du Mississipi. C’est Mud : un serpent tatoué sur le bras, un flingue et une chemise porte-bonheur.
Mud, c’est aussi un homme qui croit en l’amour, une croyance à laquelle Ellis a désespérément besoin de se raccrocher pour tenter d’oublier les tensions quotidiennes entre ses parents. Très vite, Mud met les deux adolescents à contribution pour réparer un bateau qui lui permettra de quitter l’île. Difficile cependant pour les garçons de déceler le vrai du faux dans les paroles de Mud. A-t-il vraiment tué un homme, est-il poursuivi par la justice, par des chasseurs de primes ? Et qui est donc cette fille mystérieuse qui vient de débarquer dans leur petite ville de l’Arkansas ?

Critique :
"Mud" est une aventure initiatique de deux pré-ados sur une île, fuyant la petitesse et la résignation des adultes. Le jeune réalisateur Jeff Nichols était particulièrement attendu, un an après la révélation de "Take Shelter", époustouflant film d'apocalypse mental.
Nichols laisse de côté le mystère vaporeux de son précédent long-métrage mais reste au sud, dans l’Arkensas cette fois-ci et nous livre un magnifique récit initiatique. La bande-annonce de "Mud" est trompeuse, elle laisse entendre un thriller inquiétant. Si le film n’est pas exempt de suspens et tension, il n’est pas vraiment un polar. C’est un film sur l’enfance et la figure paternelle.
L’année dernière, lorsque le British Film Institute a demandé à Jeff Nichols d’établir sa liste des dix meilleurs films de tous les temps, celui-ci s’est débrouillé pour y caser pas moins de quatre longs métrages avec Paul Newman. Rien que ça. Plutôt qu’un délire monomaniaque, il fallait y voir une profession de foi cinéphile qui ne surprendra aucun spectateur de "Mud".
En choisissant comme protagoniste de son troisième film un hobo charismatique, le cinéaste a en effet offert à Matthew McConaughey le genre de rôle que Newman tenait dans les 60s. Celui d’un antihéros séduisant et mystérieux, d’un type solitaire qui débarque dans un patelin du sud des États-Unis, chamboule la vie de ses habitants et distille des maximes cool d’une voix traînante avant de repartir dans le soleil couchant.
En trois films seulement, "Shotgun Stories" (2007), "Take Shelter" (2011) et aujourd'hui "Mud", le petit gars de Little Rock, Arkansas, s'est fait un nom. À 34 ans, Jeff Nichols est devenu l'une des figures marquantes du cinéma indépendant américain. Un mètre quatre-vingt-dix sous la toise, les yeux bleus délavés par le soleil, un accent à couper au couteau, voici Jeff Nichols, beau gosse et sudiste indécrottable.
Le Deep South, il l'a dans la peau, il y a tourné tous ses films. Dans "Mud", le cinéaste invoque entre les mânes de Mark Twain, William Faulkner, Flannery O'Connor, ces auteurs qui ont bercé son enfance et son adolescence, tout en revenant sur ses thèmes de prédilection, la nature et ses sortilèges, la famille qui se délite et se désagrège.
Après les champs de blé de l'Arkansas dans "Shotgun Stories", après les horizons infinis de l'Ohio dans "Take shelter", Jeff Nichols s'est installé sur les bords du Mississippi, entre l'eau et la forêt. Un décor de maisons flottantes et de motels sans âme, filmé avec réalisme, mais où l'imaginaire est au coin de la rive ! C'est là que vivent Ellis, 14 ans, et son copain Neckbone, un orphelin débrouillard. Des Tom Sawyer et Huckleberry Finn d'aujourd'hui qui, plutôt que de s'ennuyer à l'école, préfèrent naviguer sur le fleuve.
Au cours d'une de leurs expéditions, les deux inséparables découvrent une île déserte où tout devient possible. Même un bateau perché dans un arbre à dix mètres du sol. Même un héros de roman d'aventures en chair et en os, qui a le visage buriné et le charisme de Matthew McConaughey. L'homme, sorti de nulle part, se fait appeler Mud, il a un serpent tatoué sur le bras, un revolver à la ceinture et des bottes qui laissent des empreintes en forme de croix. Mud a tué par amour pour la belle Ju­niper (Reese Witherspoon, très touchante en Barbie paumée). Les deux enfants deviennent les chevaliers servants du prince du bayou, aux prises avec des tueurs à gages.
"Mud" est un récit empreint de classicisme mais au bon sens du terme. Il séduit par le calme qui règne dans ce film pourtant parcouru par des péripéties. Chaque scène est d’une beauté majestueuse tandis que les acteurs sont tous très justes, et n’en font pas des tonnes malgré des rôles archétypaux. "Mud" est empreint d’une douceur, celle de l’enfance, tout le film est vu à la hauteur d’enfant et à travers les yeux d’Ellis. Un film bourré d’optimisme dont tous les personnages sortent grandis.
La fascination qu’exerce le film est en grande partie due à la performance radieuse de McConaughey, qui n’aura jamais autant mérité son surnom de "bouddha redneck". Nichols le met en scène avec l’amour d’un fan, à hauteur d’enfant, l’histoire étant racontée du point de vue d’un ado aventureux, sorte d’alter ego du cinéaste. "Mud", c’est la rencontre entre Tom Sawyer et Luke la main froide. Un récit initiatique qui aspire à tutoyer les mythes fondateurs de l’Amérique (l’opposition entre la liberté et la loi, l’irruption de la violence dans une nature édénique,…) en charriant dans son sillage tout un pan de la culture "Southern Gothic", cette tradition qui va de Mark Twain à Faulkner, de "La Nuit du chasseur" à "La Balade sauvage". Au lieu d’écraser le réalisateur, ces influences lui permettent d’aérer son cinéma, de sortir du système claustrophobe mis en place dans "Shotgun Stories" et "Take Shelter".
Au final, dans "Mud", l'idéal de l'enfance se heurte aux compromis de l'âge adulte, par la découverte du mensonge et la douleur du premier chagrin d'amour. Dans ce film sensuel et lumineux, Jeff Nichols prend le temps de creuser les relations entre Ellis et son père et de développer de solides seconds rôles (un drôle de scaphandrier joué par Michael Shannon, un as de la gâchette taciturne incarné par Sam Shepard). Le récit progresse au rythme paisible du fleuve, mais la violence peut survenir à tout moment. Qu'elle soit feutrée ou explosive, comme dans l'impressionnante fusillade finale. On savait le réalisateur doué pour la contemplation, le voilà aussi expert en scènes d'action !!!

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