lundi 20 août 2012

Ciné - Despues de Lucia de Michel Franco

Despues de Lucia : Un film au commencement difficile mais qui vire au chef-d’œuvre !!!

Note : 4 / 5

Synopsis :
Lucia est morte dans un accident de voiture il y a six mois ; depuis, son mari Roberto, et sa fille Alejandra, tentent de surmonter ce deuil. Afin de prendre un nouveau départ, Roberto décide de s’installer à Mexico. Alejandra se retrouve, nouvelle, dans une classe. Plus jolie, plus brillante, elle est rapidement la cible d’envie et de jalousie de la part de ses camarades. Refusant d’en parler à son père, elle devient une proie, un bouc émissaire.

Critique :
Après l'électrochoc "Daniel Y Ana" (un frère et une soeur étaient forcés de jouer dans un porno clandestin), le réalisateur Mexicain Michel Franco creuse la même veine sismique avec "Despues de Lucia" qui reprend le dispositif formel des plans-séquences fixes et rigides avec distanciation extrême pour raconter une histoire au moins aussi puissante (un père à la recherche de sa fille, disparue).  La première scène (un homme loue une voiture, s'arrête à un carrefour et l'abandonne en pleine rue) annonce une situation dure. Plus tard, la même image prend une signification totalement différente mais tout aussi dramatique. Leur juxtaposition témoigne du style de Franco qui recompose un puzzle en le compliquant de différents niveaux chronologiques et propose une incroyable étude de cas sur les thèmes de la culpabilité et de la vengeance, le tout montré en images denses et crues. 
D'ailleurs ceux qui avaient vu le précédent film de Michel Franco risquent de ne pas avoir le même point de vue sur "Despues de Lucia" que ceux qui le découvrent tel quel. Sur une idée de départ pas si éloignée (une vidéo amateur clandestine entraîne un engrenage de violence domestique), ce second long métrage offre un traitement bien différent. La où le premier tirait sa réussite d’une grande nuance psychologique, cette nouvelle pellicule y va de manière plus directe. Et c’est presque un euphémisme. 
Pourtant le film prend son temps avant de vraiment débuter, installant d’abord ses personnages dans une sorte d’absence quotidienne. Une absence à eux-mêmes et une impossibilité à communiquer entre eux (première bonne idée : le malheur ne s’abat pas sur une famille idéale). Puis ça démarre : la première torgnole atterrit dans la "gueule" de la jeune Alejandra, et là les vannes s’ouvrent. La violence choque puis se répète, s’amplifie, devient extrême. A la limite du trop plein, sans nuances, sans guillemets. L’humiliation crève l’écran, acide, infernale et étouffante. Et le silence de la protagoniste, qui était jusqu’alors un peu lassant, devient glaçant. 
Il y a des débuts qui commencent mal et qui virent au chef d’œuvre, c’est le cas de ce film. Pas toujours parfait dans la forme, mais avec un fond et une histoire tellement forte. Très vite, le film révèle ses atouts et devient l'alliance d'une mise en scène viscérale et d'un script raisonné. L'astuce, c'est de raconter l'histoire de deux points de vue différents, celui du père qui cherche à comprendre ce qui s'est passé et celui de la fille qui subit passivement un calvaire. En égrenant des informations, Franco s'attache à souligner leurs états émotionnels. 
Partant d'un scénario déjà très elliptique, il élague la rhétorique inutile et amplifie l'impact tragique d'une histoire éminemment sombre. Le spectateur peut avoir la sensation d'être pris en otage et pour peu que l'on ne soit pas amateur des expériences malaisantes de Michael Haneke ("Funny Games"), vraie référence de Franco, on peut trouver ça insoutenable. Pour autant, rien ne sert de se voiler la face. D'autant que la cruauté est telle qu'il n'est pas nécessaire d'enfoncer le clou. "Despues de Lucia" témoigne d'une vision du monde extrêmement noire. La dernière image, terrible, prend à la gorge et hante longtemps après la projection.
Michel Franco ne semble donc pas vouloir nous apitoyer simplement sur le sort d’Alejandra. La violence semble manichéenne car les personnages de "méchants" sont peu subtils, mais l’héroïne ne vire jamais à la sainte martyr. Les enjeux sont ailleurs. On évite d’ailleurs heureusement les scènes clichés où elle s’effondrerait en larmes, craquerait ou se vengerait dans une violente catharsis. En restant complètement mutique et neutre, elle ne devient pas complice de la violence mais devient aussi insaisissable pour le spectateur qu’elle ne l’est pour son père. Et qui peut aider quelqu’un qui ne veut pas l’être ? Tout cela se fait dans une très grande froideur (malgré ses scènes dures le film carbure plus à la réflexion qu’à l’affect) qui rend cette violence encore plus dérangeante, à la limite de la gratuité. Le dénouement est amer, d’une ironie un peu roublarde, mais lui aussi percutant. Tout comme l’ensemble du film, il est froid et brutal. Dans ma bouche, ce ne sont pas des défauts.
Ce film est une véritable claque, et il mérite franchement son prix "Un Certain Regard" à Cannes. L’acteur et réalisateur britannique Tim Roth, président du jury "Un Certain Regard", s’est félicité que le cru 2012, composé de 20 films originaires de 17 pays différents, ait permis de découvrir "une sélection de films extraordinaire dans sa qualité et sa puissance". "Les cinéastes ne nous ont jamais déçus une seule fois! Incroyable!", s’est-il enthousiasmé. Il parle du film comme "d'un véritable chef-d’œuvre !". 
Pari donc gagné pour Franco, qui n’en est pas à son coup d’essai et mérité vraiment de lancer sa carrière internationale avec ce film bouleversant !!!    

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