Note : 4.5 / 5
Il ne dit pas "je suis né ainsi", mais "je suis sorti comme ça de la boîte". Ainsi parle l'imposant et taciturne Mark Lanegan. En entendant "boîte",
on ne peut s'empêcher d'imaginer un cercueil. Mark Lanegan, charmant au
demeurant, a un côté mort-vivant. Avec ce regard à la fois perçant et
distant d'un type revenu de vraiment très loin. Et une voix hantée,
grave et profonde. D'outre-tombe.
Mark William Lanegan (né le 25 novembre 1964, à Ellensburg) est un chanteur à la voix rauque, successivement membre de The Jury, Screaming Trees, Mad Season, Queens of the Stone Age et The Gutter Twins.
Tout droit venu de Seattle, il a travaillé avec des musiciens tels que Kurt Cobain, Layne Staley (au sein de Mad Season), Isobel Campbell, Twilight Singers (dont le leader Greg Dulli est l'autre membre des Gutter Twins), Mondo Generator, Melissa Auf Der Maur, Jeffrey Lee Pierce du Gun Club, Martina Topley-Bird, Masters of Reality, The Desert Sessions, Mike Watt.
Après son éclatant "Bubblegum", sept ans se sont écoulés. Pendant
tout ce temps, seule sa voix nous a fait vibrer à travers des
collaborations enchaînées (Queens of the Stone Age, Soulsavers, Isobel
Campbell). "Blues Funeral", que Mark Lanegan a écrit seul et réalisé avec le musicien-producteur Alain Johannes, arpente des chemins obscurs.
En sus de cet échange fructueux,
on retrouve comme dans "Bubblegum" quelques amis fidèles : Josh Homme, Greg Dulli ou Chris Goss, mais aussi Jack Irons (RHCP, Pearl Jam et
Eleven) à la batterie. Les illustres invités réunis, quelle piste
allait bien pouvoir emprunter le maître de cérémonie ? Le titre "Blues Funeral" semblait être on ne peut plus clair et raccord avec l'image du ténébreux Mark Lanegan, et pourtant...
D'une voix de plus en plus grave et rocailleuse, comme les traits qui
s'escriment à sculpter son visage, mais toute aussi ensorceleuse, comme
lorsqu'il se laisse à délivrer un sourire, la séance d'envoûtement peut
commencer. Par cet organe qui va puiser dans toutes les profondeurs pour
mieux révéler l'insondable à travers ses mots, il incarne plus que
jamais le menaçant poético-romantique qu'il a toujours été. Si le grunge
des Screaming Trees et son blues-rock acoustique en solo se conjuguent
au passé, c'est avec son Band, comme pour mieux souligner le changement
stylistique, que le son électrique de "Bubblegum" prend ici une dimension étonnamment plus électronique, qui fait de ce "Blues Funeral" une œuvre unique et épique !
Quelque chose a donc changé chez Mark Lanegan. Et pas qu’un peu. La mutation
est en fait si flagrante et, posons le d’emblée, réjouissante. Flash-back : la dernière fois qu’a tonné sa
voix de crooner bouffeur de caillasses, c’était en 2004. L’album, le
sixième en son nom, s’appelait, comme vous avez pu le comprendre "Bubblegum", et Lanegan y semblait
condamné à un destin d’icône pour chapelles grunge et stoner, avec tout
ce que cela comporte d’excellence, mais aussi de rigidité. Après sept longues années de rumeurs, grondantes, d’un retour en forme de renaissance, il nous revient complètement différent tout en étant le même, renforçant son aura de songwriter ténébreux tout en atteignant d’inédits niveaux de conscience.
Avec ce nouvel album, finie l'ambiguïté. Tel un Nick Cave rural
d'outre-Atlantique, Lanegan y laboure avec flamme ses éternelles
obsessions, son romantisme noir de grand écorché. Ce changement qui peut paraître étrange et dangereux pour certains, avantage pourtant la voix particulière de Mark Lanegan. Avec son timbre rauque et grave, l’Américain sonne comme un Leonard Cohen qui aurait abusé de quelques verres, mais qui se garderait quand même une petite gêne pour ne pas tomber dans les chaussures de Tom Waits. Sur "Blues Funeral", on écoute en silence et avec attention Mark Lanegan, qu’il soit dans un cabaret jazz ou dans la cour d’un quelconque groupe indie. Dans "Bleeding Muddy Waters", par exemple, l’artiste s’envole pendant six minutes sur une mélodie blues. Pourtant, on l’écoute jusqu’au bout, et seulement pour l’écouter crooner.
La puissance des airs et des paroles ne fait pas défaut, les guitares
claquent et contredisent le titre : le rock est toujours d’actualité.
Mystères, noirceurs, religion marquent l’opus qui doit aussi rappeler le
côté intemporel et mortel de l’essai. Entre le Gun Club, qui l'a conduit jusqu'ici, et les influences allemandes des années 70 qu'il avoue aujourd'hui, Mark Lanegan y
ajoute tous les ingrédients d’ambiant et d'électro pour nous délivrer
un rock singulièrement puissant que l'on ressent dès le premier titre et
single : "The Gravedigger's Song".
Avec quelques vers en français en hommage à Gérard Manset qu'il a
découvert et apprécié récemment, le lugubre côtoie une implacable drum
machine qui s'abat sur des mots d'amour et de sang envers une femme qui
n'est plus qu'un souvenir affligé. La superbe "Bleeding Muddy Water",
très Soulsavers, introduit ensuite l'interrogation religieuse, thème
majeur de l'album !
Que ce soit avec des morceaux proches de "Bubblegum"
("Phantasmagoria Blues", "Quiver Syndrome" et "Black Vanishing Train")
comme dans les plus osés ("Harborwiew Hospital" et "Tiny Grain of Truth"
avec leurs rythmiques et effets 80's façon The Stranglers ou
New Order), la composante essentielle de l'album est donc la magie qui
s'opère entre sa voix unique, dont il change le grain suivant les
allures, et la qualité des arrangements d'Alain Johannes, tout en
assumant sans faiblir une grande variété de rythmes et d'influences. A
l'instar de "Leviathan", une lente marche funéraire, où son chant et les
voix chorales de Alain Johannes et de Chris Goss se mélangent et finissent par rendre leur dernier soupir en totale communion.
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