Note : 4 / 5
Synopsis :
Lucia est morte dans un accident de voiture il y a six mois ; depuis,
son mari Roberto, et sa fille Alejandra, tentent de surmonter ce deuil.
Afin de prendre un nouveau départ, Roberto décide de s’installer à
Mexico. Alejandra se retrouve, nouvelle, dans une classe. Plus jolie,
plus brillante, elle est rapidement la cible d’envie et de jalousie de
la part de ses camarades. Refusant d’en parler à son père, elle devient
une proie, un bouc émissaire.
Critique :
Après l'électrochoc "Daniel Y Ana" (un frère et une soeur
étaient forcés de jouer dans un porno clandestin), le réalisateur
Mexicain Michel Franco creuse la même veine sismique avec "Despues de Lucia"
qui reprend le dispositif formel des plans-séquences fixes et rigides
avec distanciation extrême pour raconter une histoire au moins aussi
puissante (un père à la recherche de sa fille, disparue). La première
scène (un homme loue une voiture, s'arrête à un carrefour et l'abandonne
en pleine rue) annonce une situation dure. Plus tard, la même image
prend une signification totalement différente mais tout aussi
dramatique. Leur juxtaposition témoigne du style de Franco qui recompose
un puzzle en le compliquant de différents niveaux chronologiques et
propose une incroyable étude de cas sur les thèmes de la culpabilité et
de la vengeance, le tout montré en images denses et crues.
D'ailleurs ceux qui avaient vu le précédent film de Michel Franco risquent de ne pas avoir le même point de vue sur "Despues de Lucia"
que ceux qui le découvrent tel quel. Sur une idée de départ pas si
éloignée (une vidéo amateur clandestine entraîne un engrenage de
violence domestique), ce second long métrage offre un traitement bien
différent. La où le premier tirait sa réussite d’une grande nuance
psychologique, cette nouvelle pellicule y va de manière plus directe. Et c’est
presque un euphémisme.
Pourtant le film prend son temps avant de
vraiment débuter, installant d’abord ses personnages dans une sorte
d’absence quotidienne. Une absence à eux-mêmes et une impossibilité à
communiquer entre eux (première bonne idée : le malheur ne s’abat pas
sur une famille idéale). Puis ça démarre : la première torgnole atterrit
dans la "gueule" de la jeune Alejandra, et là les vannes s’ouvrent. La
violence choque puis se répète, s’amplifie, devient extrême. A la limite
du trop plein, sans nuances, sans guillemets. L’humiliation crève
l’écran, acide, infernale et étouffante. Et le silence de la
protagoniste, qui était jusqu’alors un peu lassant, devient glaçant.
Il y a des débuts qui commencent mal et qui virent au chef d’œuvre,
c’est le cas de ce film. Pas toujours parfait dans la forme, mais avec
un fond et une histoire tellement forte. Très vite, le film révèle ses atouts et devient l'alliance d'une mise en
scène viscérale et d'un script raisonné. L'astuce, c'est de raconter
l'histoire de deux points de vue différents, celui du père qui cherche à
comprendre ce qui s'est passé et celui de la fille qui subit
passivement un calvaire. En égrenant des informations, Franco s'attache à
souligner leurs états émotionnels.
Partant d'un scénario déjà très
elliptique, il élague la rhétorique inutile et amplifie l'impact
tragique d'une histoire éminemment sombre. Le spectateur peut avoir la
sensation d'être pris en otage et pour peu que l'on ne soit pas amateur
des expériences malaisantes de Michael Haneke ("Funny Games"),
vraie référence de Franco, on peut trouver ça insoutenable. Pour
autant, rien ne sert de se voiler la face. D'autant que la cruauté est
telle qu'il n'est pas nécessaire d'enfoncer le clou. "Despues de Lucia"
témoigne d'une vision du monde extrêmement noire. La dernière image,
terrible, prend à la gorge et hante longtemps après la projection.
Michel Franco ne semble donc pas vouloir nous apitoyer simplement sur le sort
d’Alejandra. La violence semble manichéenne car les personnages de "méchants" sont peu subtils, mais l’héroïne ne vire jamais à la sainte
martyr. Les enjeux sont ailleurs. On évite d’ailleurs heureusement les
scènes clichés où elle s’effondrerait en larmes, craquerait ou se
vengerait dans une violente catharsis. En restant complètement mutique
et neutre, elle ne devient pas complice de la violence mais devient
aussi insaisissable pour le spectateur qu’elle ne l’est pour son père.
Et qui peut aider quelqu’un qui ne veut pas l’être ? Tout cela se fait
dans une très grande froideur (malgré ses scènes dures le film carbure
plus à la réflexion qu’à l’affect) qui rend cette violence encore plus
dérangeante, à la limite de la gratuité. Le dénouement est amer, d’une
ironie un peu roublarde, mais lui aussi percutant. Tout comme
l’ensemble du film, il est froid et brutal. Dans ma bouche, ce ne sont
pas des défauts.
Ce film est une véritable claque, et il mérite franchement son prix "Un Certain Regard" à Cannes. L’acteur et réalisateur britannique Tim Roth, président du jury "Un
Certain Regard", s’est félicité que le cru 2012, composé de 20 films
originaires de 17 pays différents, ait permis de découvrir "une sélection de films extraordinaire dans sa qualité et sa puissance". "Les cinéastes ne nous ont jamais déçus une seule fois! Incroyable!", s’est-il enthousiasmé. Il parle du film comme "d'un véritable chef-d’œuvre !".
Pari donc gagné pour Franco, qui n’en est pas à son coup d’essai et
mérité vraiment de lancer sa carrière internationale avec ce film
bouleversant !!!
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