de Deon Meyer
Note : 4 / 5
Synopsis :
L'art du pisteur, évoqué par
une citation en début de chapitre, illustre la manière dont chacun des
protagonistes va laisser des traces. Toutes, à un moment donné, se
recouperont : septembre 2009.
Milla Strachan, lasse de vingt ans de
mariage-maltraitance, plaque son mari et est embauchée par la
Presidential Intelligence Agency, branche des services secrets. La PIA
surveille un groupuscule islamiste qui semble attendre une importante
livraison par bateau. Milla s'entiche d'un
aventurier, Lukas, prétendument archéologue, en réalité
archéologue-gentleman-cambrioleur. Il combat un gang allié aux
Islamistes qui a embarqué par accident ses économies et refuse de les
lui restituer. L'action de Lukas va croiser celle des services secrets,
qui le prennent à tort pour un terroriste.
Lemmer, l'antihéros de Lemmer l'invisible, est
chargé par un défenseur des espèces animales menacées d'assurer le
transfert à la frontière du Zimbabwe de deux inestimables rhinos noirs.
Lors d'une fusillade, il est dépossédé de son Glock, où ses empreintes
abondent. Il n'aura de cesse de le récupérer.
Mat Joubert, au service de
l'agence de détectives privés créée par l'ex-inspecteur Griessel enquête sur la disparition de Davie Flint, cadre de
l'Atlantic Bus Company, qui s'est volatilisé devant son club de gym.
Critique :
C’est un fait, le polar et l’Afrique du Sud se sont peu rencontrés. On se rappelle Wessel Ebersohn, découvert dans les années 1990, le haut-fonctionnaire et romancier Louis-Ferdinand Despreez. On se rappelle aussi que le Français Caryl Férey avait été y voir avec "Zulu" (2008), qui va d’ailleurs être adapté au cinéma. C’est un beau tableau, mais resserré.
Jusqu’ici, Deon Meyer s’était fait connaître en France par six polars
fort bien troussés, en particulier "Jusqu’au dernier" (2002), "Les
Soldats de l’aube" (2003) et "L’Âme du chasseur" (2005). Des romans
qui évoquaient l’Afrique du Sud d’après 1994 et l’arrivée de l’ANC au
pouvoir à travers notamment le trafic d’armes, la reconstruction de l’armée et de la police et la collaboration d’anciens du parti boehr et d’anciens de l’ANC à la tête des administrations.
Ici, ces thèmes sont toujours là, mais il y ajoute une touche
d’espionnage (cette fameuse Agence présidentielle de renseignement), le
trafic d’animaux rares et l’islamisme. Le tout dans une Afrique du Sud qui n’est plus obsédée par son propre
passé, mais par le continent africain, par le monde, et surtout par le
futur. "A la trace" est donc un mix entre ce qu’écrivait Meyer jusqu’ici et cette voie nouvelle.
L'art du pisteur consiste à identifier les signes, puis à les
interpréter. Dans son nouveau roman, Deon Meyer (né en 1958) s'appuie
sur ces techniques de traque animale pour déployer une histoire où
chaque personnage laissera des traces qui finiront par se recouper. Le
romancier sud-africain de langue afrikaans, auteur notamment des
mémorables "Soldats de l'aube" (2000), rappelle du même coup les
fondamentaux du thriller : la chasse et la fuite, le chasseur et le
gibier, le fort et le faible. Mais, en scrutant les failles et les
conflits internes d'une poignée d'hommes inquiets et de femmes
déroutées, il évite également toute forme de manichéisme.
Découpé en quatre parties d'apparence distincte, "A la trace"
entremêle donc trois histoires : celle de Milla, jeune femme blanche qui
tente de se construire une nouvelle vie et qui va se retrouver entraînée
dans une aventure digne d'un roman d'espionnage. Puis on retrouve un
des personnages favoris de Deon Meyer : Lemmer ("Lemmer, l'invisible")
qui va devoir convoyer a travers le désert deux rhinocéros sauvages,
mais ce qu'il ignore c'est que la sauvegarde des animaux n'est le seul
enjeu de ce voyage. Et enfin la dernière partie qui concerne également
un personnage déjà rencontré, Matt Joubert ("Jusqu'au dernier"), ancien flic devenu enquêteur qui va se lancer sur la trace d'un mari disparu. Évidemment, toutes ces histoires vont s'entrecroiser et le puzzle finira
par s'assembler. On ne perd pas le fil, on bascule d'une histoire vers
une autre, on est entraîné et finalement sidéré, d'avoir lus ces 700
pages avec autant de facilité et de plaisir.
Deon Meyer |
Chaque partie du livre aurait pu donner à elle seule un
roman. Mais le tout, mélange on ne peut plus réussi, efficace, de roman
d'espionnage, de procédure policière et d'aventure, offre au lecteur un
vaste panorama d'une Afrique du Sud en pleine mutation depuis la fin de
l'apartheid. Au-delà de la construction implacable, des personnages incarnés, il y a
donc le pays : une Afrique du Sud post-apartheid qui ne se résume pas à la
ville du Cap. On quitte les chics banlieues résidentielles pour se
perdre dans des parcs nationaux et rouler au cœur de la brousse. On
entend les bruits de la nuit, le hurlement du chacal, le chuintement des
crocodiles, pour finir la soirée à manger un bobotie au riz jaune et
patates douces.
Deon Meyer maîtrise,
encore une fois, totalement sa partition. Il réussit à mener
parfaitement son histoire avec rythme et densité même si la dernière
partie est en demi-teinte, la fin un peu précipitée. Avec une
construction remarquable, il signe son roman le plus complexe et le plus
audacieux. L'habileté de ses intrigues, la force de ses
descriptions, sa passion sincère pour un pays dont il connaît les
fragilités, en font, à mon sens, un des meilleurs auteurs de roman policier
contemporain !
Le Sud-Africain aux origines alsaciennes Deon Meyer est donc de retour avec "À la trace", son septième roman en dix ans, et de loin le plus ambitieux. Un demi-kilo d’intrigues, de traques, de bastons et de coups fourrés
dans une Afrique du Sud qui, sortie de l’apartheid et de ses
conséquences, fait désormais face à la mondialisation de la finance et
du crime !!!
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