Note : 4 / 5
Synopsis :
Ellis et Neckbone, 14 ans, découvrent lors d’une de leurs escapades
quotidiennes, un homme réfugié sur une île au milieu du Mississipi.
C’est Mud : un serpent tatoué sur le bras, un flingue et une chemise
porte-bonheur.
Mud, c’est aussi un homme qui croit en l’amour, une
croyance à laquelle Ellis a désespérément besoin de se raccrocher pour
tenter d’oublier les tensions quotidiennes entre ses parents. Très vite,
Mud met les deux adolescents à contribution pour réparer un bateau qui
lui permettra de quitter l’île. Difficile cependant pour les garçons de
déceler le vrai du faux dans les paroles de Mud. A-t-il vraiment tué un
homme, est-il poursuivi par la justice, par des chasseurs de primes ? Et
qui est donc cette fille mystérieuse qui vient de débarquer dans leur
petite ville de l’Arkansas ?
Critique :
"Mud" est une aventure initiatique de deux pré-ados sur une île, fuyant la
petitesse et la résignation des adultes. Le jeune réalisateur Jeff Nichols était particulièrement attendu, un an après la révélation de "Take Shelter", époustouflant film d'apocalypse mental.
Nichols laisse de côté le mystère vaporeux de son précédent long-métrage mais
reste au sud, dans l’Arkensas cette fois-ci et nous livre un magnifique
récit initiatique. La bande-annonce de "Mud" est
trompeuse, elle laisse entendre un thriller inquiétant. Si le film n’est
pas exempt de suspens et tension, il n’est pas vraiment un polar. C’est
un film sur l’enfance et la figure paternelle.
L’année dernière, lorsque
le British Film Institute a demandé à Jeff Nichols d’établir sa liste
des dix meilleurs films de tous les temps, celui-ci s’est débrouillé
pour y caser pas moins de quatre longs métrages avec Paul Newman. Rien
que ça. Plutôt qu’un délire monomaniaque, il fallait y voir une
profession de foi cinéphile qui ne surprendra aucun spectateur de "Mud".
En choisissant comme protagoniste de son troisième film un hobo
charismatique, le cinéaste a en effet offert à Matthew McConaughey le
genre de rôle que Newman tenait dans les 60s. Celui d’un antihéros
séduisant et mystérieux, d’un type solitaire qui débarque dans un
patelin du sud des États-Unis, chamboule la vie de ses habitants et
distille des maximes cool d’une voix traînante avant de repartir dans le
soleil couchant.
En trois films seulement, "Shotgun Stories" (2007), "Take Shelter" (2011) et aujourd'hui "Mud", le petit gars de Little Rock, Arkansas, s'est fait un nom. À 34 ans, Jeff Nichols
est devenu l'une des figures marquantes du cinéma indépendant
américain. Un mètre quatre-vingt-dix sous la toise, les yeux bleus délavés par le
soleil, un accent à couper au couteau, voici Jeff Nichols, beau gosse et
sudiste indécrottable.
Le Deep South, il l'a dans la peau, il y a
tourné tous ses films. Dans "Mud", le cinéaste invoque entre les mânes de Mark Twain, William Faulkner,
Flannery O'Connor, ces auteurs qui ont bercé son enfance et son
adolescence, tout en revenant sur ses thèmes de prédilection, la nature
et ses sortilèges, la famille qui se délite et se désagrège.
Après les champs de blé de l'Arkansas dans "Shotgun Stories", après les horizons infinis de l'Ohio dans "Take shelter",
Jeff Nichols s'est installé sur les bords du Mississippi, entre l'eau
et la forêt. Un décor de maisons flottantes et de motels sans âme, filmé
avec réalisme, mais où l'imaginaire est au coin de la rive ! C'est là
que vivent Ellis, 14 ans, et son copain Neckbone, un orphelin
débrouillard. Des Tom Sawyer et Huckleberry Finn d'aujourd'hui qui,
plutôt que de s'ennuyer à l'école, préfèrent naviguer sur le fleuve.
Au cours d'une de leurs expéditions, les deux inséparables découvrent
une île déserte où tout devient possible. Même un bateau perché dans un
arbre à dix mètres du sol. Même un héros de roman d'aventures en chair
et en os, qui a le visage buriné et le charisme de Matthew McConaughey.
L'homme, sorti de nulle part, se fait appeler Mud, il a un serpent
tatoué sur le bras, un revolver à la ceinture et des bottes qui laissent
des empreintes en forme de croix. Mud a tué par amour pour la belle
Juniper (Reese Witherspoon, très touchante en Barbie paumée). Les
deux enfants deviennent les chevaliers servants du prince du bayou, aux
prises avec des tueurs à gages.
"Mud" est un récit empreint de classicisme mais au bon sens du terme. Il séduit par le calme qui règne dans ce film pourtant parcouru par des
péripéties. Chaque scène est d’une beauté majestueuse tandis que les acteurs sont tous très justes, et n’en font pas des tonnes malgré des rôles archétypaux. "Mud" est empreint d’une douceur, celle de l’enfance, tout le film est vu à la hauteur d’enfant et à travers les yeux d’Ellis. Un film bourré d’optimisme dont tous les personnages sortent grandis.
La fascination qu’exerce
le film est en grande partie due à la performance radieuse de
McConaughey, qui n’aura jamais autant mérité son surnom de "bouddha
redneck". Nichols le met en scène avec l’amour d’un fan, à hauteur
d’enfant, l’histoire étant racontée du point de vue d’un ado aventureux,
sorte d’alter ego du cinéaste. "Mud", c’est la rencontre entre Tom Sawyer
et Luke la main froide. Un récit initiatique qui aspire à tutoyer les
mythes fondateurs de l’Amérique (l’opposition entre la liberté et la
loi, l’irruption de la violence dans une nature édénique,…) en charriant
dans son sillage tout un pan de la culture "Southern Gothic", cette
tradition qui va de Mark Twain à Faulkner, de "La Nuit du chasseur" à "La
Balade sauvage". Au lieu d’écraser le réalisateur, ces influences lui
permettent d’aérer son cinéma, de sortir du système claustrophobe
mis en place dans "Shotgun Stories" et "Take Shelter".
Au final, dans "Mud", l'idéal de l'enfance se heurte aux compromis de l'âge adulte, par
la découverte du mensonge et la douleur du premier chagrin d'amour.
Dans ce film sensuel et lumineux, Jeff Nichols prend le temps de creuser
les relations entre Ellis et son père et de développer de solides
seconds rôles (un drôle de scaphandrier joué par Michael Shannon, un as
de la gâchette taciturne incarné par Sam Shepard). Le récit progresse au
rythme paisible du fleuve, mais la violence peut survenir à tout
moment. Qu'elle soit feutrée ou explosive, comme dans l'impressionnante
fusillade finale. On savait le réalisateur doué pour la contemplation, le voilà aussi expert en scènes d'action !!!
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