Note : 4.25 / 5
Synopsis :
1491, Pise, Italie. Angelo commence l’université aujourd’hui. Le jeune
homme est issu d’une famille d’artisans mais l’homme pour qui
travaillait son grand-père, Lorenzo de Medicis, est un riche bienfaiteur
qui a décelé en lui du talent. Il l’a donc fait intégrer la Sapienza,
la prestigieuse université de Pise. Angelo lit et étudie énormément,
mais les livres ne lui ont pas appris à se comporter en société au
milieu des fils de bonne famille.
A son arrivée, il apprend que les
étudiants se regroupent en fonction de leur région d’origine : il fera
donc partie du cercle des florentins, dirigé par Giovanni, le fils de
Lorenzo. Dès le premier jour, Angelo enchaîne malheureusement les
bourdes : il appelle Giovanni par son prénom au lieu "d’excellence"
(le jeune homme est destiné à devenir cardinal à la fin de ses études),
et lors d’un cours il répond au professeur mieux que ne vient de le
faire son aîné. Pour lui montrer qu’il ne lui en veut pas, Giovanni
l’invite à une chevauchée au cours de l’après-midi.
Angelo n’a pas
l’habitude de monter à cheval et n’est pas à l’aise. Aussi, lorsque
Draghignazzo, le bras droit de Giovanni, agissant sur ordre de ce
dernier, décide de lui donner une leçon en lançant son cheval au galop,
Angelo n’arrive plus à le maîtriser et fonce droit vers un précipice. In
extremis, un autre cavalier arrive à son secours et arrête la course
folle de la bête. Il s’agit de Cesare Borgia, le chef du cercle des
espagnols et plus grand rival de Giovanni. Dès lors, Angelo va découvrir
la réalité cachée des luttes de pouvoirs d’aujourd’hui et de demain
auprès de Cesare dont il se rapprochera de plus en plus, tandis qu’il
devra par ailleurs rester soumis à Giovanni.
Critique :
Alors que Canal+ et HBO ont sorti leur série sur les Borgia en même temps, un manga, très soigneusement édité par Ki-oon, propose de prendre le contre-pied des clichés sur cette famille à la réputation odieuse. "Cesare" se concentre sur le personnage de Cesare Borgia en le présentant comme un jeune génie politique et, tout ceci, à l'aide d'un conseiller historique très impliqué dans la genèse du manga.
Dans le domaine du manga, nous connaissons déjà plusieurs œuvres
portant sur des personnages ou des événements historiques, comme "Vagabond", "Lady Oscar" ou "Au temps de Bocchan".
Chaque auteur interprète librement les faits et les personnages
historiques et nous propose son propre point de vue. Fuyumi Soryô, la
dessinatrice de "Cesare", est connue pour ses shôjo des années 80, cependant, bien que son Cesare est un personnage masculin pouvant s'apparenter au style shôjo, tant au
niveau du dessin qu’au niveau relationnel, avec "Cesare" nous sommes bien face à un seinen.
Fascinée par cette époque d'exception où se croisaient Leonardo da Vinci,
Machiavelli et Botticelli, Fuyumi Soryô a accompli un extraordinaire
travail de reconstitution. Épaulée par l'universitaire nippon et grand
spécialiste de Dante Motoaki Hara, la mangaka a épluché et recoupé tous
les documents disponibles.
Pouvoir, stupre, poison. Des mots qui, aujourd’hui encore, résument
souvent les Borgia, père, fils et fille. Des termes réducteurs que la
littérature, le cinéma, la télévision ou la BD ont largement fait leurs
pour évoquer cette dynastie, alors même que les historiens ont apporté
des nuances à cette légende noire, du moins en ce qui concerne Lucrèce
et Cesare. Ce dernier doit une bonne partie de sa renommée à
Nicola Machiavelli qui s’en est inspiré dans "Le Prince". Évêque à
quinze ans, cardinal à seize, puis défroqué et chef de guerre, érudit et
amateur d’art, supposé fratricide et incestueux, le personnage a de
quoi fasciner, même les Japonais.
Sans occulter les zones d'ombre du
personnage, Cesare, son portrait du plus controversé des Borgia,
ne cède en rien au sensationnalisme et rétablit, au contraire, certaines
vérités historiques mises à mal par les récentes adaptations
télévisuelles. Nourrie par les idées et les questions qui agitaient les
hommes de cette époque, cette fresque complexe, entamée depuis huit ans
au Japon, donne surtout à réfléchir sur les notions d'individu, de
pouvoir et de famille. Remarquable !
Autant dire que "Cesare" se place ainsi
dans un souci de réalité historique, que ce soit dans le déroulement du
scénario ou dans chacun des détails du background. En cela, il
s’éloigne de la seule autre adaptation manga de cette partie de
l’histoire, "Cantarella" qui apportait de nombreux éléments
fantastiques au récit de la vie de Cesare Borgia.
Le côté romancé n’est
pas mis de côté pour autant ici. Évitant le piège du simple report
d’événements historiques, l’auteur prend pour héros principal un jeune
étudiant qui va découvrir en même temps que le lecteur les us et
coutumes de la société pisane ainsi que les rouages et les manigances du
pouvoir religieux, de ceux qui le détiennent ou ceux qui veulent
l’obtenir.
Sur l’aspect historique donc, Fuyumi Soryô
s’est appliquée à être la plus précise possible, en prenant soin de ne
pas tomber dans la simple description. L’introduction de sa série par
l’intermédiaire du jeune Angelo, personnage candide et inculte de
bien des choses, est plutôt bien pensée. En effet, si le personnage en
lui-même est insignifiant au possible, sa présence au premier plan
permet de donner un peu de relief à la mise en contexte.
Le récit se montre passionnant dès les
premières pages, alors que les manigances n’ont même pas encore
commencé. Le soin apporté aux détails permet en effet de rendre chaque
page ou chaque dialogue intéressant. L’action se
met en place lentement, Fuyumi Soryô prenant le temps de poser le
maximum d’assise historique au récit. Il en résulte un rendu moins
clinquant que dans les séries télé, mais sur la durée un contenu
probablement plus intéressant. Et même si ces explications historiques prennent parfois le pas sur l’action, "Cesare" n’en reste pas moins un manga dynamique.
Graphiquement, la reconstitution s’avère réussie et séduit par la
finesse et l’expressivité du trait autant que par le soin apporté aux
décors (jusqu’à la Chapelle Sixtine qui a été restituée sans les
fresques de Michel-Ange, plus tardives), ainsi qu’aux détails (en
particulier pour les costumes). Les cadrages variés offrent par moments
quelques très belles vues de la cité pisane, tandis que le découpage
précis assure une bonne fluidité et un certain dynamisme.
Mêlant Histoire, complexité et intensité du seinen manga, "Cesare" est une petite merveille. Si vous aviez déjà succombé aux mangas de Kaoru Mori ("Bride Stories", "Emma") pour la qualité des dessins, vous pouvez vous laisser tenter par Cesare. Les graphismes de Fuyumi Soryô sont magnifiques. J’ai souvent eu le souffle coupé dès qu’il s’agissait des représentations des hauts lieux de l’Histoire
italienne. D’ailleurs, ces derniers nous plongent en pleine période de
la Renaissance et les lecteurs ayant déjà étés en Italie se plairont à
reconnaître les bâtiments. Les
œuvres d’art ont, elles aussi, un rôle important pour Fuyumi Soryô. Ses
reproductions des plus grands tableaux de la Renaissance italienne sont
un vrai délice pour les yeux.
Au final, Fuyumi Soryô
nous offre un récit palpitant dont la trame historique est agréablement
transposée. Elle permet d’appréhender avec réalisme l’Italie du XVe
siècle, en particulier les tensions qui occupent la curie, écho à une
réalité plus contemporaine. Quant au dessin particulièrement subtil et précis, il est dans la lignée du célèbre seinen "Bersek",
principalement au niveau des perspectives aériennes et des monuments
architecturaux, offrant un panorama de décors somptueux, d’une précision
remarquable. Ki-oon nous permet de pénétrer dans le monde terrible et fascinant de Cesare Borgia à ne surtout pas perdre !!!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire