Note : 3.75 / 5
Synopsis :
À travers une histoire qui se déroule sur cinq siècles dans plusieurs
espaces temps, des êtres se croisent et se retrouvent d’une vie à
l’autre, naissant et renaissant successivement… Tandis que leurs
décisions ont des conséquences sur leur parcours, dans le passé, le
présent et l’avenir lointain, un tueur devient un héros et un seul acte
de générosité suffit à entraîner des répercussions pendant plusieurs
siècles et à provoquer une révolution. Tout, absolument tout, est lié.
Critique :
Salué par les uns, décrié par les autres,
voici enfin que déboule dans nos salles le nouveau film des Wachowski,
accompagnés pour l’occasion par Tom Tykwer. Un mastodonte, dans tous les
sens du terme, qui déchaina les passions avant même sa première
projection et qui aujourd’hui continue plus que jamais de diviser. Six histoires qui se
croisent sur cinq siècles, de 1849 à 2346, de l’Écosse au Pacifique en
passant par la sombre et futuriste Nouvelle-Séoul ; une durée qui flirte
avec les trois heures, trois réalisateurs travaillant de concours... On
peut dire que Tom Tykwer, Lana et Andy Wachowski n’ont pas eu froid aux yeux.
Adapté du roman "La Cartographie des Nuages" de David Mitchell pointant dans le top des matériaux inadaptables, "Cloud Atlas"
version Wacho et Tykwer explose la structure narrative pyramidale d’origine mêlant six
temporalités différentes de 1850 à un futur post-apocalyptique pour
proposer un format plus cinématographique sous forme de puzzle. Une
complexité renforcée par la présence de comédiens récurrents mais
interprétant différents rôles au sein des époques par le biais de
maquillages absolument bluffants.
Alors comment donner vie à cet inadaptable roman ? Brisant les carcans narratifs linéaires par le biais d’un
montage parallèle hérité de D.W. Griffith ("Intolérance", 1919), le trio
fait se télescoper les genres (SF, comédie, mélo, film d’époque) et
abolit les frontières spatio-temporelles. Mystique, cette conception
poreuse de l’existence s’illustre à l’écran par un jeu complexe de
correspondances visuelles et de travestissements, les différents
personnages étant incarnés par les mêmes acteurs sous des tonnes de
maquillage et de postiches un peu kitsch.
Ce qui faisait l’intérêt du roman d’origine,
c’était sa parfaite cohérence malgré la complexité de construction, une
cohérence que l’on retrouve de la plus pure manière au sein du film
malgré la suppression de personnages essentiels au déroulé de
l’histoire. Chacun de ces segments régissant le film vise à aborder les
pivots fondamentaux de l’humanité, de la liberté, de la mort, du don de
soi, de la croyance tout en les mixant avec des questions humanistes
telles l’homosexualité, l’antisémitisme, l’amour interracial, une sorte
de vision exacerbée et plus radicale que celle déjà développée dans la
trilogie "Matrix". Pour faire court, "Cloud Atlas" est la mise en images de la notion de destin à la manière des Wachowski, et ce n’est évidemment pas si simple à détailler.
Toutes ces histoires sont certes linéaires
mais suivent des structures parallèles, ignorant le besoin de tout
compartimenter comme cette tendance irrépressible du spectateur, et
utilisant les thèmes et les petits détails comme éléments connecteurs.
Ce sont des histoires qui font des allers-retours constants entre elles
de scène en scène, à des intervalles importants ou ironiques, tout en
prenant chacune un ton complètement différent et existant dans toute une
disparité de genres.
Car à chaque temporalité correspond aussi son genre. La SF néo-"Blade Runner" croise le thriller parano seventies à la Pollack/Pakula. La romance se teinte de "screwball comedy"
dans une série de sketchs dont seule la somme importe, et dont un
superbe personnage résume le cœur battant dans une lettre adressée
d’outre-tombe à son amant : "Ma vie s’étend bien au-delà des limites, écrit-il. Toutes les limites sont des conventions qui attendent d’être transcendées".
"Cloud Atlas" est un objet monstrueux, hétéroclite, composé d'un
ensemble d'éléments hétérogènes. Son intérêt se situerait,
exclusivement, dans la manière dont ces éléments s'articuleraient les uns avec les autres.
Il est évident que les Wachowski (que l'on ne peut plus appeler frères
puisque l'an passé, l'un d'eux, Larry, est devenu une femme, Lana) étaient attendus après un silence de quatre ans. Aidés par le réalisateur allemand Tom Tykwer ("Cours, Lola, cours" et "Le Parfum"), ils semblent renouer avec ce qui faisait la particularité de "Matrix"
: la construction d'un objet hybride où le divertissement cherche à se
marier avec l'abstraction philosophique, aussi rudimentaire soit-elle.
Voilà le secret de "Cloud Atlas", ce qu’il dissimule sous ses grands airs métaphysiques
: le récit d’un affranchissement, d’un rejet des genres, des
orthodoxies, et de tout ce futur normé qu’incarne en 2144 une
organisation oppressive baptisée Unanimity. Chacune des histoires qui
composent le film vibre ainsi de la même pulsion libertaire : un esclave
qui s’émancipe, un clone qui apprend son individualité…
Il faut être un solide narrateur et un
technicien de génie pour accoucher d’une œuvre si ambitieuse, si
difficile à raconter et pourtant… Non content d’assurer
une maîtrise totale du projet, les Wacho et Tykwer se permettent de
pousser le vice jusqu’à afficher un long-métrage de 2h45. A ce niveau de
perfection technique, de cet art du montage qui permet à l’impossible
de fonctionner avec une fluidité exemplaire, on ne peut que s’avouer
vaincu par KO.
Ceux qui ont passé leur vie à être en avance sur tout, notamment par "Matrix", trouvent ici le projet ultime à leur quête artistique
mêlant cinéma, réflexion profonde sur l’Homme et symphonie musicale.
Sans être un défenseur de la première heure de leur cinéma (ayant
moi-même été déçu par l’ultime volet de la saga "Matrix"), je conçois assez facilement le désarroi que l’on peut éprouver face à "Cloud Atlas", tant celui-ci peut apparaître comme une véritable épreuve de force par la totale liberté artistique qu’il suit.
Ainsi, toutes les pièces de ce puzzle complexe et
spectaculaire s’assemblent grâce à une excellente poétique du montage.
Tout est pensé d’une façon musicale, entrecoupant des mouvements
similaires de caméra et les emplacements des personnages à l’intérieur
du cadre pour osciller parfaitement entre les époques, comme une
symphonie juxtaposée qui donne l’impression que cette disparité des
évènements fait partie d’un tout unique et intégral. C’est comme si le film était un remix de lui-même. Tout
dévale vers l’avant simultanément.
Toutefois, si les épisodes de ce
blockbuster transgenre s’agrègent avec un certain brio, ils peinent à certains moments à s’enrichir mutuellement. Lorsque cela arrive, l’idée prend malheureusement le pas sur l’affect, nous laissant
à distance de ce fascinant puzzle. Car si "Cloud Atlas" a tout du chef-d’œuvre, il contient quelques longueurs que d'aucuns pourraient décrire comme fatalement ennuyeuses. C’est l’émotion qui
fait le plus défaut dans ces cas. Les péripéties s’enchainent, mais, victime de son
ambition démesurée, le long-métrage ne parvient que peu à communiquer une émotion sincère.
Cependant, malgré ce défaut, le film est tout sauf grand public. C’est intemporel à
souhait, c’est probablement un chef d’œuvre et cela mériterait d’être
étudié dans les écoles de cinéma tant le film a
tout d’un monument. Pour autant, est-ce que l’extase a été totale lors
du visionnage, non, est-ce que je prendrai un plaisir fou à le revoir
encore et encore non. Ce que je peux dire avec certitude, c’est que le
jugement individuel n’a pas beaucoup de sens pour parler de "Cloud Atlas" tant ce film semble voler à des kilomètres de tout cela.
Au final, "Cloud Atlas" est une œuvre tentaculaire, qui raconte six histoires à la fois, au risque de perdre le spectateur en route. Outre cette difficulté, les Wachowski et Tykwer n'ont reculé devant rien en mêlant même différents genres de cinéma. Si le "Cloud Atlas" n'en demeure pas moins un film d'une rare intelligence porté par un montage d'une minutie extrême, il peut sembler indigeste par certains aspects.
On y retrouve l’obsession des Wachowski pour un cinéma mouvant, en
phase avec son époque, dont il vampirise les innovations, qui les a
menés de l’ère du tout-numérique ("Matrix" et "Speed Racer")
à celle des séries et de leur écriture proliférante. Dans sa densité
folle, sa manière de bousculer les temporalités, son flux ininterrompu
de récits et cliffhangers virant parfois à l’abstraction, "Cloud
Atlas" condense à lui seul la puissance narrative d’une série moderne et
constitue ainsi la plus belle réponse du cinéma américain à la
télévision : un film mutant.
Ce long métrage a certes beaucoup divisé, et continuera de le faire encore pour de nombreuses années, mais je ne saurais que trop vous conseiller de vous faire votre propre opinion. Ces 2h40 ne laisseront personne indifférent !!!
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